La Fin de Pardaillan
s’y prit, mais il est un fait certain, c’est que l’illustre dame réussit à cacher son état à tous les yeux. Et Dieu sait si elle était surveillée, épiée, espionnée. Malgré tout, sans que personne le soupçonnât, un enfant vint au monde. Un enfant, qu’on espérait voir venir mort, attendu qu’on avait fait tout ce qu’il fallait pour cela, et qui se présenta bien vivant, solidement râblé, ne demandant qu’à vivre. C’était une fille, monsieur. La plus mignonne, la plus jolie, la plus adorable petite créature du bon Dieu qui se puisse imaginer. Or – et faites bien attention, monsieur, c’est ici que commence ma trahison – ce petit ange de Dieu qui aspirait à la vie de toutes ses forces, pas plutôt sorti du sein de sa mère, ce fut à moi que le père le remit, en m’ordonnant de lui attacher une lourde pierre au cou et d’aller le jeter dans l’Arno, du haut du ponte Vecchio.
– Horrible ! haleta Valvert bouleversé. J’espère bien, Landry du diable, que tu n’as pas exécuté cet ordre abominable.
– Non, monsieur, non. Je n’ai pas eu cet affreux courage. Et c’est là qu’a commencé ma trahison.
Valvert respira, comme soulagé d’un poids énorme qui l’oppressait. Machinalement, il remplit encore les verres, et cette fois, lui aussi, but le sien d’un trait.
– Qu’en as-tu fait ? dit-il ensuite.
– D’abord, ce que le père n’avait pas pensé à faire : Avant de la noyer – car, monsieur, je ne veux rien vous cacher et je dois confesser à ma honte que j’étais résolu à obéir – avant de la noyer, dis-je, j’ai porté l’enfant à Santa Maria del Fiore. C’était bien assez, n’est-ce pas ? de la meurtrir sans l’envoyer par-dessus le marché pâtir éternellement en purgatoire. Je l’ai fait baptiser. Un bon baptême bien en règle, dûment enregistré sur le livre de la paroisse. Et je l’ai déclarée, avec témoignages à l’appui, fille du signor Concino Concini et de mère inconnue. Et je lui ai donné un nom, celui de la ville où elle était née : Florenza. Et c’est moi, Landry Coquenard, qui suis son parrain. C’est signé, monsieur.
– Florence ! le nom est joli, par ma foi ! s’écria Valvert enthousiasmé ! Landry, je commence à avoir meilleure opinion de toi !… Ensuite ?…
– Ensuite, je me suis aperçu qu’elle était mignonne à faire rêver, cette petite. Et j’ai senti ma résolution chanceler. On eût dit qu’elle comprenait, monsieur. Ses petites mains avaient agrippé ma moustache, elle me regardait de ses jolis yeux qui semblaient refléter un coin du ciel bleu. Elle semblait me dire : « Je ne t’ai rien fait, moi ! Pourquoi veux-tu me tuer ? » J’en fus bouleversé. Et voilà que pour m’achever, elle avança les lèvres dans cette adorable moue des tout petits enfants qui demandent le sein de la mère. Et elle fit entendre un petit gémissement, oh ! si doux, monsieur, si plaintif, si triste, que je sentis les tripes me tournebouler dans le ventre… Je me précipitai comme un fou, je me ruai dans une boutique, j’achetai du bon lait tout chaud, bien sucré, et je la fis boire tout son soûl. Bien repue, elle me sourit comme doivent sourire les anges, gazouilla quelque chose qui devait être un remerciement, et s’endormit paisiblement dans mes bras qui la berçaient machinalement. Voilà, monsieur, quelle fut ma trahison.
– Landry, tu es un brave homme ! proclama Valvert avec conviction. Après ?…
– Après, vous sentez bien que je ne pouvais pas la garder, moi.
– Oui, ce n’est pas le rôle d’un homme de se muer en nourrice. Et puis il y avait le père, ce misérable Concini. Tôt ou tard, il aurait appris la chose. Il aurait repris l’enfant. Il l’aurait remise à un autre avec le même ordre qu’il t’avait donné, à toi, et celui-là, moins scrupuleux que toi, aurait peut-être obéi sans hésiter.
– Tout juste, monsieur. C’est ce que je me suis dit. Alors je pensai à une femme de ma connaissance qui avait eu quelques bontés pour moi. C’était une Française comme moi, je savais qu’elle n’était point méchante, et de plus – c’est surtout cela qui me décida – je savais qu’elle devait, par suite de je ne sais quelle délicate histoire, quitter au plus vite Florence et les Etats du grand-duc de Toscane. Je n’hésitai pas à lui confier ma petite Florenza que je commençais à aimer, de tout mon cœur. Et je vous assure,
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