La Fin de Pardaillan
une famille… Ah ! comme cela est bon, et comme cela me réchauffe le cœur de rencontrer un peu d’estime…
Il fut tout saisi d’entendre ces paroles qui étaient une révélation. Il oublia sa propre douleur pour la plaindre de toute son âme. Elle demeura un instant rêveuse songeant sans doute aux humiliations subies. Elle ne pleurait plus. Elle parut se réveiller tout à coup et, souriante, elle s’approcha de lui, lui prit une main qu’elle garda entre ses petites mains, et le considéra une seconde en silence, avec un attendrissement profond.
– Monsieur de Valvert, dit-elle enfin, il faut que je vous demande humblement pardon.
– Et de quoi, bon Dieu ?
– De ce que j’ai pu croire que vous étiez un homme comme les autres. Il faut que je vous le confesse, quand vous m’avez abordée, j’ai très bien compris que vous cherchiez l’occasion de placer votre déclaration. Vous trouverez sans doute que je suis bien expérimentée pour une jeune fille. Hélas ! monsieur, songez qu’on ne se gêne guère avec une pauvre bouquetière des rues comme moi… L’autre jour, ne m’avez-vous pas soustraite aux violences de ce misérable !… Ne vous étonnez donc pas si j’ai compris. Et si je me suis montrée si froide, impatiente mauvaise, c’était pour vous avertir, car je croyais que vous alliez me tenir le même langage qu’ils me tiennent tous. C’est de cela, de cette mauvaise opinion que j’ai eu de vous que je vous prie de me pardonner.
– Vous ne me connaissiez pas. Vous pouviez croire en effet que j’agirais comme les autres.
– Vous ne me connaissiez pas davantage, vous, monsieur. Et cependant, vous ne m’avez pas soupçonnée. Vous ne vous êtes pas dit, comme ils se disent tous sans doute : « Avec une fille des rues, il n’est pas besoin de faire de façons. » C’est que vous avez une âme plus noble que la mienne. Je me croyais très fière pourtant. Monsieur de Valvert, vous êtes le plus galant homme, le plus digne d’estime, le plus digne d’être aimé qui soit au monde.
– Mais vous ne m’aimez pas, dit-il avec amertume. Laissez-moi espérer que plus tard, quand vous me connaîtrez mieux, vous consentirez à porter mon nom.
– Je vous connais maintenant, fit-elle en secouant sa tête charmante. Même si je vous aimais, je vous dirais : Non, je ne puis être votre femme.
– Pourquoi ?
– Voyons, vous le savez bien : Est-ce que le noble comte de Valvert peut épouser une fille comme moi ?
– N’êtes-vous pas une honnête femme ?
– Oui, dit-elle en se redressant avec fierté, et je vous assure que ce n’est pas un mince mérite de ma part. Mais un gentilhomme, un homme de votre rang n’épouse pas une bouquetière des rues, une Brin de Muguet, une Muguette, qui sont les noms que le populaire m’a donnés.
– Sornettes ! Si vous saviez combien peu je m’occupe de ces niaiseries !
– Mais, moi, je m’en occupe. Je vous dois bien cela, d’ailleurs. Plus tard, d’ici peu peut-être, vous aurez trouvé la noble jeune fille digne en tout point de vous. Vous rirez alors de vos velléités actuelles. Il me sera doux de penser que vous bénirez alors l’humble petite bouquetière d’avoir compris, elle, l’infranchissable distance qui la séparait d’un homme tel que vous.
– Vous vous trompez, fit-il avec un accent poignant, ce cœur qui s’est donné à vous, jamais ne se reprendra. Si vous ne voulez pas de moi, jamais je n’en épouserai une autre, jamais je n’en aimerai d’autre. Je garderai votre souvenir enfoui au fond de mon cœur jusqu’à ce que le seigneur Dieu me fasse la grâce de m’appeler à lui… ce qui ne tardera guère.
Elle tressaillit. Le ton sur lequel il venait de parler ne pouvait laisser aucun doute.
« C’est qu’il dit vrai, s’écria-t-elle en elle-même, il est capable d’en mourir !… Pourtant, je ne peux pas l’épouser ! Non, je ne le peux pas, je ne le dois pas. »
Et, tout haut, avec une grande douceur :
– Vous m’oublierez, dit-elle. Il le faut d’ailleurs… Tenez, il vaut mieux que je vous le dise : Je ne suis pas libre.
– Pas libre ! bégaya-t-il, seriez-vous mariée ?
Elle fut effrayée de sa pâleur, du tremblement convulsif qui le secouait. Elle répondit précipitamment :
– Non, non pour Dieu, ne croyez pas cela !
– Alors… vous en aimez un autre ?
– Non plus… Je n’aime personne… Je n’ai jamais aimé personne… et je
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