La Fin de Pardaillan
sens… oui, je sens que si je devais aimer quelqu’un c’est vous que j’aimerais.
– Alors, implora-t-il, ne me découragez pas !… Laissez-moi croire que plus tard… J’attendrai… Oh ! j’attendrai tant que vous voudrez.
– Vous me torturez bien inutilement, gémit-elle.
Et le regardant loyalement en face, droit au fond des yeux :
– Je ne suis pas libre. Mais cela peut vous être une consolation, je vous jure sur mon salut éternel que je ne suis pas plus libre pour d’autres que pour vous. Je vous jure que je ne me marierai jamais… que jamais personne ne m’aura. Adieu, monsieur de Valvert. Dans ma triste existence, les moments de joie ont été bien rares. Je vous assure que je peux les compter. Je vous devrai un de ces moments les plus purs, les plus radieux. Je ne l’oublierai jamais.
Elle lui adressa un sourire affectueux, un peu triste, et, profitant de son désarroi, elle partit d’un pas vif et léger vers la rue Saint-Honoré.
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Chapitre 17 OU ALLAIT LA PETITE BOUQUETIERE
V alvert demeura cloué sur place, pétrifié, anéanti, la regardant s’éloigner d’un œil sans expression. Et il se disait :
« Elle n’est pas libre !… Elle n’est pas libre !… Qu’est-ce que cela veut dire ?… Et pourquoi n’est-elle pas libre… puisqu’elle n’est pas mariée… puisqu’elle n’aime personne… Car elle me l’a dit. Et puisqu’elle l’a dit, cela doit être, car une enfant loyale et pure comme celle-ci ignore le mensonge… Et elle n’a pas davantage menti quand elle a dit que si elle devait aimer quelqu’un, c’est moi qu’elle aimerait… Non, elle n’a pas menti : je sens bien, moi aussi, qu’elle aurait fini par m’aimer… Alors qu’y a-t-il ?… Pourquoi n’est-elle pas libre, pourquoi ?… Par le ciel, il faut que je sache ce qu’il y a là-dessous et je le saurai !…
Il s’élança comme un fou vers la rue Saint-Honoré. Il n’eut pas de peine à rattraper Brin de Muguet qu’il voulait suivre. Jusque-là, il avait agi sous le coup d’une impulsion irraisonnée. Il était bien trop désemparé pour calculer la portée de ses gestes. Dès l’instant qu’il se trouva lancé, il trouva instantanément le sang-froid nécessaire pour exécuter avec adresse ce qu’il avait résolu de faire. Il commença par ramener les plis du manteau sur le nez et se mit à suivre de loin la jeune fille. Il était entraîné de longue date à cette manœuvre. Il était bien sûr qu’il ne trahirait pas sa présence.
Brin de Muguet s’en allait du côté de la Croix du Trahoir. Tout de suite, il remarqua qu’elle allait délibérément droit à son but, sans se livrer à ces tours et détours qu’elle faisait d’habitude pour dépister ceux qui auraient pu la suivre.
Il ne fut pas seul à faire cette remarque. Un autre suiveur qui avait le visage enfoui dans le manteau, auquel il n’avait pas fait attention, mais qui l’avait très bien remarqué, lui, et qui se gardait autant du comte que de la jeune fille, fit la même remarque qui prouvait que lui non plus ne la suivait pas pour la première fois. Et ce suiveur, c’était Stocco. D’où sortait-il, comment se trouvait-il là, derrière la jeune fille ? Peu importe. Il y était et la suivait comme Valvert.
Pourquoi la gracieuse jeune fille négligeait-elle, ce jour-là, ses habituelles préoccupations ? Peut-être jugeait-elle qu’elles étaient devenues inutiles maintenant qu’elle se sentait sous la protection d’un personnage tout-puissant comme la duchesse de Sorrientès. Ou peut-être, troublée et distraite par l’entretien qu’elle venait d’avoir avec Valvert, eut-elle un moment d’oubli. Toujours est-il que, sans se cacher, elle alla jusqu’à la rue de l’Arbre-Sec, dans laquelle elle s’engagea. Tournant à gauche, elle vint aboutir à la place des Trois-Mairies, place qui se trouvait à l’entrée du pont Neuf, et se confondit plus tard avec les rues de la Monnaie et du Pont-Neuf.
Elle entra dans un cabaret. Elle en ressortit au bout de quelques minutes. Elle était assise sur le dos d’un joli petit âne gris, les pieds posés bien d’aplomb sur une planchette. Sur l’encolure de l’âne, un panier pendait de chaque côté. Un de ces paniers était vide. L’autre contenait un paquet assez volumineux. Il fallut l’œil pénétrant de notre amoureux pour la reconnaître, car elle était enveloppée des pieds à la tête dans une grande cape brune dont elle
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