La Flèche noire
aucune trace n’apparaîtrait de son moins heureux prédécesseur sur ce chemin.
– Je voudrais avoir osé lui en dire davantage, pensa-t-il, car je crains qu’il ne se soit perdu dans le bourbier.
Et, juste comme il pensait cela, une voix cria son nom, et, regardant par-dessus son épaule, il aperçut sur le côté de la chaussée, la figure du garçon, au milieu d’un bouquet d’ajoncs.
– Vous voilà ? dit-il, arrêtant son cheval. Vous êtes tellement caché par les roseaux que je vous aurais dépassé sans vous voir. J’ai vu votre cheval embourbé, et l’ai délivré de l’agonie ; ce que, par ma foi ! vous auriez dû faire vous-même, si vous aviez eu un peu de pitié. Mais sortez de votre cachette. Il n’y a personne ici pour vous inquiéter.
– Hé ! mon garçon, je n’ai pas d’armes et ne saurais m’en servir, si j’en avais, répliqua l’autre en s’avançant sur le sentier.
– Pourquoi m’appelez-vous garçon ? demanda Richard. Vous n’êtes pas, je pense, l’aîné de nous deux.
– Bon maître Shelton, dit l’autre, je vous en prie, pardonnez-moi. Je n’ai pas la moindre intention de vous offenser. Je ferais tout, plutôt, pour obtenir votre bienveillance et votre grâce, car je suis plus mal en point que jamais, ayant perdu mon chemin, mon manteau et mon pauvre cheval. Avoir une cravache et des éperons, et pas de cheval à monter ! Et, surtout, ajouta-t-il, avec un regard lamentable sur ses vêtements – surtout être si misérablement sali !
– Bah, s’exclama Dick. Prenez-vous garde à un plongeon ? Le sang d’une blessure ou la poussière du voyage, – voilà les ornements d’un homme.
– Eh bien, alors, je l’aime mieux sans ornement, fit le garçon. Je vous prie, bon maître Richard, je vous en prie, aidez-moi de votre bon conseil. Si je n’arrive pas sain et sauf à Holywood, je suis perdu.
– Non, dit Richard, descendant de cheval, je vous donnerai mieux qu’un conseil. Prenez mon cheval, et je vais courir un moment ; quand je serai fatigué, nous changerons, de manière que, à pied et à cheval, nous irons le plus vite possible.
Ce qui fut fait, et ils allèrent aussi vivement que le permettait le terrain inégal, Dick tenant la main sur le genou de l’autre.
– Comment vous appelez-vous ? demanda Dick.
– Appelez-moi John Matcham, répondit le garçon.
– Et qu’allez-vous faire à Holywood ? continua Dick.
– Je cherche asile contre un homme qui veut m’opprimer, fut la réponse. Le bon abbé de Holywood est un soutien puissant pour le faible.
– Et comment vous trouviez-vous avec Sir Daniel ? poursuivit Dick.
– Hé, dit l’autre, par la violence ! Il m’a enlevé de force de ma propre demeure ; il m’a couvert de ces haillons ; il a galopé avec moi, à m’en rendre malade ; il m’a nargué jusqu’à me faire pleurer ; et, lorsque plusieurs de mes amis se mirent à le poursuivre, dans l’espoir de me reprendre, il me mit en croupe derrière lui pour les empêcher de tirer ! Je fus même égratigné au pied droit et je boite un peu. Oh, il y aura un jour de règlement pour tout cela : il lui en cuira !
– Voulez-vous prendre la lune avec les dents ? dit Richard. C’est un vaillant chevalier, et sa main est de fer. S’il avait deviné que je me suis mêlé de votre fuite, je passerais un mauvais quart d’heure.
– Hé, mon pauvre garçon, répliqua l’autre, vous êtes son pupille, je sais bien. À propos, je le suis aussi, du moins il le dit ; à moins qu’il ait acheté le droit de me marier,… je ne sais pas au juste ; mais c’est quelque pratique pour m’opprimer.
– Garçon encore ! dit Dick.
– Quoi ? Dois-je donc vous appeler fille, bon Richard ? demanda Matcham.
– Pas de filles pour moi, répliqua Dick. Je les renie en bloc !
– Vous parlez en garçon, dit l’autre. Vous pensez plus à elles que vous ne le prétendez.
– Non, pas moi, dit Richard, résolument. Je ne m’en occupe pas. La peste soit d’elles, vous dis-je. Parlez-moi de chasser, de combattre et de festoyer, et de vivre avec de hardis compagnons. Je n’ai jamais entendu parler de fille qui fût bonne à quelque chose, sauf une ; et celle-là, la pauvre, fut brûlée comme sorcière et pour avoir porté des habits d’homme, malgré son sexe.
Maître Matcham se signa avec ferveur, et sembla prier.
– Que faites-vous ?
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