La Flèche noire
et Dick courant aisément à côté, ils traversèrent la fin du marais, ils arrivèrent au bord de la rivière, près de la cabane du passeur.
CHAPITRE III
LE BAC DU MARAIS
La Till formait à cet endroit une nappe d’eau argileuse, suintement du marais, et coulait parmi une vingtaine d’îlots marécageux couverts de saules.
C’était une vilaine rivière ; mais, par cette matinée brillante et animée, tout était beau. Le vent et les martinets plissaient sa surface d’innombrables rides ; et le ciel s’y réfléchissait en taches d’un bleu riant.
Une crique s’avançait à la rencontre du sentier, et tout près de la rive était la hutte du passeur. Elle était faite de limon et d’osier, et l’herbe poussait verte sur le toit.
Dick alla à la porte et l’ouvrit. À l’intérieur, sur un vieux sale manteau rougeâtre, le passeur était étendu et grelottait ; c’était une grande carcasse d’homme, mais maigre et rongé par la fièvre du pays.
– Hé, maître Shelton, dit-il, venez-vous pour le bac ? Mauvais temps, mauvais temps ! Faites attention. Il y a une compagnie aux alentours. Vous feriez mieux de tourner vos talons et de prendre le pont.
– Non, je suis très pressé, répondit Richard. Le temps vole, passeur. Je n’en ai pas à perdre.
– Quel homme entêté, répondit le passeur, se levant. Si vous arrivez sain et sauf à Moat-House, vous aurez de la chance ; mais je n’en dis pas plus. Puis, apercevant Matcham : Qui est celui-ci ? demanda-t-il, en s’arrêtant, avec un clignement de l’œil, sur le seuil de sa hutte.
– C’est mon parent, maître Matcham, répondit Richard.
– Bien le bonjour, bon passeur, dit Matcham qui avait mis pied à terre, et s’avançait, tenant le cheval par la bride. Préparez-moi votre bateau, je vous prie ; nous avons grande hâte.
Le maigre passeur le regardait fixement.
– Par la messe ! dit-il enfin, et il rit à gorge déployée.
Matcham rougit jusqu’aux oreilles et frissonna ; et Dick, avec un air de colère, mit la main sur l’épaule du butor.
– Eh bien, quoi ! cria-t-il. Occupe-toi de tes affaires, et cesse de te moquer de ceux qui sont au-dessus de toi.
Hughes le passeur délia son bateau en grommelant et le poussa un peu vers l’eau profonde. Puis Dick fit entrer le cheval et Matcham suivit.
– Vous êtes vraiment bien petit, maître, dit Hughes, avec une large grimace : c’est du mauvais modèle, faut croire. Non, maître Shelton, je suis pour vous, ajouta-t-il, prenant les rames. Un chien peut bien regarder un évêque. Je n’ai fait que jeter un coup d’œil sur maître Matcham.
– Assez parlé, drôle, dit Richard. Courbe-moi ton dos.
Ils étaient à ce moment à l’ouverture de la crique, et la vue s’ouvrait en amont et en aval. Partout elle était limitée par des îles. Les rives de limon bordaient la rivière, les saules s’inclinaient, les roseaux pliaient, les martinets sifflaient et plongeaient. Aucune trace d’homme dans ce labyrinthe d’eaux.
– Mon maître, dit le passeur, maintenant le bateau d’une seule rame, j’ai une maudite idée que Jean-des-Marais est dans l’île. Il a une mauvaise dent contre tous les gens de Sir Daniel. Que diriez-vous si je remontais le courant pour aborder à une portée de flèche au-dessus du sentier ? Il vaut mieux ne pas avoir affaire avec Jean-des-Marais.
– Quoi ? Est-il de cette compagnie ? demanda Dick.
– Motus, dit Hughes. Mais je remonterais la rivière, Dick. Pensez, si maître Matcham attrapait une flèche ? Et il rit de nouveau.
– Soit, Hughes, répondit Richard.
– Attention, alors, poursuivit Hughes. S’il en est ainsi, détachez-moi votre arc… bien : maintenant préparez-le… bon ; mettez-moi une flèche. Là, gardez-la comme ça, et regardez-moi d’un air menaçant.
– Que signifie ? demanda Dick.
– Hé, mon maître, si je vous fais passer en cachette, il faut que ce soit par force ou par crainte, répliqua le passeur ; autrement, si Jean-des-Marais en avait vent, il serait capable de se montrer un désastreux voisin.
– Les coquins en agissent-ils si brutalement ? demanda Dick. Est-ce qu’ils commandent le bac de Sir Daniel ?
– Hé, murmura le passeur, clignotant. Remarquez bien ! Sir Daniel tombera. Chut ! Et il se courba sur les rames.
Ils remontèrent longtemps la rivière, tournèrent au bout d’une île, et
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