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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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aller pour trouver du pétrole : il y découvrira… des Juifs.
    Boryslaw : 40 000 habitants, dont 18 000 Juifs.
    Drochobycz : 35 000 habitants, dont 17 500 Juifs.
    Lorsque Beitz s’installe dans le pays, les Juifs sont regroupés dans des camps de travail. À peine est-il en charge de ses nouvelles fonctions qu’il assiste aux premières déportations massives :
    « Un jour, en 1942, à la gare de Boryslaw, j’ai vu quelques centaines de Juifs qui attendaient dans le froid d’être embarqués par le train de Belzec. Parmi eux, il y avait beaucoup d’enfants dans un état lamentable. Une femme serrait une petite fille contre elle. L’enfant toussait de manière inquiétante. J’ai dit à l’officier SS qui surveillait le groupe qu’il fallait trouver un médecin au plus vite. “ Là où ils vont tous, plus besoin de médecin ! ” m’a-t-il répondu en ricanant. »
    La vision de trains entiers d’enfants juifs partant pour la mort bouleverse le jeune directeur de la Karpaten Öl et sa femme. Choqués et émus, ils décident d’agir.
    « Je me suis rendu au siège de la Gestapo. Je leur ai dit que j’avais besoin, et d’urgence, de main-d’oeuvre supplémentaire, que cela était d’une importance stratégique essentielle pour le Reich. C’est ainsi que j’ai pu obtenir l’autorisation d’employer autant de Juifs qu’il le fallait. Muni de ce pouvoir exceptionnel, je suis allé chaque jour à la gare pour arracher quelques jeunes gens à la mort. J’aurais pu choisir une main-d’oeuvre plus qualifiée. Au lieu de ça, je recrutais des tailleurs, des coiffeurs, des étudiants des écoles talmudiques pour leur donner des cartes de techniciens du pétrole… J’ai même été amené à embaucher comme simple comptable un homme, Erich Rosenberg, qui était un professeur d’économie !
    — Combien en avez-vous ainsi employé ?
    — Dans la compagnie, environ huit cents. La plupart ont survécu. Après la guerre, ils sont tous partis. En Amérique, en Israël, en Australie, partout. Je ne crois pas qu’un seul soit resté.
    — Pourquoi avoir fait cela ? N’était-ce pas dangereux pour votre femme et vous ?
    — Oui, mais… qu’auriez-vous fait à ma place ? Vous voyez un enfant, vous voyez comment, dans la rue, dans la gare, tout lui est refusé, tout sauf la mort – et dans la lumière rase du petit jour cet enfant qui vous regarde avec ses grands yeux, avec des yeux démesurés : que faites-vous ? Je l’ai fait, voilà tout. Avec ces enfants, avec leurs mères que j’embauchais comme secrétaires en les faisant descendre, grâce à mon passe-droit officiel, de ces trains prêts à partir pour les camps, pour la torture et l’extermination. Je me souviens… Une fois, dans cette gare de Boryslaw, j’avais fait sortir du wagon une jeune femme, en expliquant aux nazis qu’il s’agissait d’une de mes indispensables secrétaires. “ Monsieur le directeur, m’a-t-elle dit, est-ce que je peux prendre ma mère avec moi ? ” Je lui ai répondu oui. À ce moment, un SS est arrivé : “ Celle-là, qui est-ce ? – Ma secrétaire. – Et l’autre ? – Elle travaille pour moi. – Non, non ! Impossible, fait le SS. Elle est trop âgée… Allez, hop, en voyage ! ” Je n’ai rien pu faire. Déjà la vieille dame était refoulée à l’intérieur du wagon. La secrétaire, accablée, m’a demandé : “ Monsieur le Directeur, je ne veux pas abandonner ma mère. Puis-je remonter dans le train ? ” La situation était poignante. La mère et la fille sont parties à la mort. Ce jour-là, à cause d’un SS trop zélé, j’ai échoué. Ce train, je l’ai regardé s’éloigner avec la rage au coeur, en pleurant… Mais c’est ainsi : j’avais spontanément besoin d’aider. Et je recommencerais aujourd’hui avec la même fougue. Si je voyais un enfant, ou un adulte tout aussi bien, maltraité dans la rue, j’éprouverais toujours ce besoin de l’aider. C’est une question d’humanité. À la maison, ma femme cachait un petit garçon juif, qu’elle a élevé durant toutes ces années en même temps que notre fille. En Israël, où nous sommes allés bien plus tard, il nous a retrouvés, lui, Leenhardt, devenu là-bas un policier gradé ; nous sommes tombés dans ses bras de bonheur. Et nous pleurions sans retenir nos larmes. »
    À ce moment, je vois que Berthold Beitz fléchit sous l’émotion. La voix se trouble, et l’oeil aussi. Sa dignité,

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