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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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Juifs italiens… Harry Djalvo, intarissable, m’apporte d’autres précieuses informations sur l’ambiance qui régnait à Istanbul à l’époque. Certes, von Papen y avait établi son repaire d’indicateurs et d’espions, mais la capitale restait ouverte à tous les vents, à toutes les expressions.
    « Il faut savoir une chose importante, c’est que toutes les grandes institutions juives, pendant la guerre, qui faisaient de leur mieux pour sauver des Juifs, avaient leur siège ici, à Istanbul, sous l’oeil bienveillant des autorités turques, qui laissaient faire ! Et jamais les Allemands n’ont pu aller contre cette connivence-là. Les responsables juifs affrétaient des bateaux pour s’en aller débarquer illégalement en Palestine (illégalement, puisque les Anglais, à la demande des Arabes, leur interdisaient ce territoire) : le gouvernement turc, lui, a toujours fermé les yeux sur ces activités… »
     
    Étrange climat, en vérité, que celui d’Istanbul pendant la guerre. J’apprends qu’ici même, à l’époque, le représentant de l’Église romaine, le cardinal Angelo Roncalli, a parlé haut et fort en faveur des Juifs. En 1942, profitant de son éloignement du Vatican où, à ce moment, règne un pesant silence sur la question juive, il n’hésite pas : en sa qualité de nonce apostolique en Turquie, il use de toute son influence pour se porter au secours des Juifs persécutés en Bulgarie, en Yougoslavie et, plus tard, en Italie même. En 1943, il proteste contre le projet de déportation des Juifs bulgares et demande que les Italiens, dans la zone qu’ils occupent le long des côtes yougoslaves de l’Adriatique, les protègent…
    Ce cardinal Angelo Roncalli qui, depuis sa base d’Istanbul, soutient ainsi publiquement les Juifs contre les nazis à la barbe de von Papen est cet homme que le monde découvrira plus tard sous les traits du pape Jean XXIII… Personne, dans la Turquie d’alors, n’a songé un seul instant à le faire taire…
    « D’ailleurs, souligne Nedim Yahya, la Turquie avait su, bien avant la guerre, dès le début des années trente, signifier sa distance par rapport au régime nazi en accueillant l’intelligentsia juive et antifasciste qui fuyait l’Allemagne ou en était bannie. C’est Atatürk qui a lancé ce mouvement. Entre 1930 et 1938, nous avons ainsi recueilli deux cent trente professeurs : cent cinquante Juifs et quatre-vingts qui l’étaient à demi ou qui étaient des antifascistes, des gens de gauche – tous des enseignants, des professeurs, des chercheurs émérites. Ils nous ont été d’une très grande utilité ici, en Turquie. Ils sont à l’origine de la création de notre enseignement universitaire… En 1943, du reste, l’ambassadeur d’Allemagne à Istanbul a reçu un ordre de Hitler lui enjoignant de réclamer l’extradition vers l’Allemagne des cent cinquante Juifs en question. Franz von Papen lui-même a donc exigé du président turc qu’il lui remette ces personnes : il s’est heurté à une fin de non-recevoir, polie mais ferme.
    — Il y avait d’autres Juifs qui venaient se réfugier en Turquie à cette époque. Comment cela se passait-il ?
    — Nous étions très jeunes, mais nous avons vécu tout cela avec passion grâce aux institutions juives qui étaient ici et auxquelles nous participions. Par exemple, quand on nous annonçait que tel ou tel bateau allait arriver, surchargé de Juifs en provenance du Danube, nous allions au port les attendre, qu’il pleuve ou qu’il neige, avec de quoi les accueillir. Et on les nourrissait, on les hébergeait, plusieurs semaines parfois, en attendant de pouvoir les faire entrer en Israël.
    — Et… vous n’aviez pas de difficultés avec les services secrets allemands ? Vous deviez jouer au chat et à la souris avec eux, non ?
    — Non, à peine. En fait, il y avait aussi les services secrets britanniques qui étaient là. Et ils étaient très occupés à s’entre-espionner avec les Allemands, donc ils avaient tendance à nous négliger un peu ; ça nous a permis d’aider nos coreligionnaires qui étaient dans le besoin. »
     
    Cette discussion me rend la Turquie plus proche, plus familière que je ne la ressentais jusque-là. Je comprends mieux comment certains de mes propres ancêtres ont pu, jadis, voici des siècles, vivre dans ce pays, être turcs. Et c’est d’un coeur léger que je flâne une fois de plus dans Istanbul avant d’aller à

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