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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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vivaient en Pologne avant la guerre. Je demande à Margaret Acher s’ils n’étaient pas trop nombreux pour pouvoir se cacher.
    « Ils étaient surtout très différents, me dit-elle. Reconnaissables à leur accent. Ils utilisaient des mots yiddish ou d’origine hébraïque qui les faisaient repérer très vite et dénoncer. Et puis les visages, les cheveux… En France, la population est mélangée : mon visage et mes cheveux noirs ne me font pas particulièrement remarquer.
    — En France aussi on a dénoncé…
    — Oui. Mon mari l’a été par son métayer. Cela se passait à quinze kilomètres de Nice !
    — En Pologne, l’énorme proportion de Juifs dénoncés et massacrés vient-elle du fait qu’il était difficile de les cacher pour la simple raison qu’ils étaient différents ?»
    C’est alors qu’elle m’assène cette observation dont je me suis souvenu au cours de mon entretien avec Iréna Sendler : mille Polonais pour sauver un Juif ; un seul Polonais pour dénoncer mille Juifs… En voici l’intégralité :
    « Pour sauver un Juif en Pologne, il fallait mille Polonais. En effet, quand l’endroit où nous nous cachions n’était plus sûr, nous devions partir et trouver une autre cache. Une chaîne d’entraide était indispensable. Mais inversement, pour dénoncer mille Juifs, un Polonais suffisait. »
    Écrasante équation ! C’est cependant sa dimension positive que je veux retenir, car elle signale la difficile permanence du Bien, de cette chaîne de solidarité qui oeuvrait en dépit de la barbarie ambiante. Le couvent de Plody en constituait l’un des hauts lieux. Margaret Acher m’a préparé un rendez-vous avec soeur Ludovica. Elle est la dernière, dans le couvent, à pouvoir désormais évoquer cette période. Cinquante années ont passé, et toutes les autres soeurs ont disparu.

5.
    Quand on mène une enquête, le hasard est souvent roi. Je pars pour Plody avec un jeune cinéaste polonais, Vojtek, qui sera mon chauffeur et mon guide, et… nous nous trompons de route. Au moment où Vojtek s’aperçoit de son erreur et s’apprête à faire demi-tour, je remarque un panneau indiquant la direction de Malkinia. Ce mot agit sur moi comme un ouvre-boîte. Il existe ainsi de ces mots qui se promènent sur des étagères mentales garnies de boîtes fermées – et puis, tout à coup, un couvercle saute… Malkinia était la gare de triage par laquelle transitaient les Juifs qui parvenaient à fuir Varsovie pour se réfugier en URSS avant que n’éclate, en juin 1941, la guerre germano-soviétique. Par Malkinia, on pouvait gagner la partie de la Pologne occupée par l’Armée rouge. Avec ce lieu resurgit à vif dans ma mémoire un moment clef de mon enfance. Quand nous avons fui le Ghetto, mes parents, ma tante et deux amis catholiques de mon père, imprimeurs comme lui, nous pensions traverser plusieurs frontières afin de rejoindre l’Angleterre, où mon père et ses deux collègues comptaient s’engager dans l’armée nationale polonaise pour combattre les nazis. Mais ils se sont, eux aussi, trompés de chemin.
    Je me souviens. J’avais cinq ans, ma mère était enceinte, nous marchions de nuit et, le jour, nous nous cachions dans les bois. Nos amis catholiques allaient dans les villages pour nous dénicher quelque chose à manger. Le soir venu, nous repartions…
    Arrivés à Malkinia, mes parents ont constaté leur erreur d’orientation, mais il n’était plus possible de revenir en arrière ; nous avons continué. Dans la gare, nous nous sommes blottis, comme beaucoup, dans le wagon d’un train de marchandises. Je me rappelle l’odeur de paille et de bouse de vache – ce wagon avait transporté du bétail. Aujourd’hui, ce souvenir se charge pour moi d’une âpre évocation qui concerne le destin du peuple juif. Comment ne pas penser à ces innombrables convois ferroviaires, fantomatiques et tristement réels, qui, à travers toute l’Europe, ont acheminé – dans des conditions pires que celles réservées au bétail – des troupeaux entiers d’humains vers les camps d’extermination, vers ces abattoirs de l’homme ?
    Soudain, les portes se sont ouvertes à la volée, des projecteurs aveuglants ont été braqués sur nous. Aboiements de chiens, cris gutturaux, pleurs, ordres sans équivoque : « Les Juifs, à droite ! Les Polonais, à gauche !» On nous a fait descendre du train. Dans la confusion générale, une main m’a agrippé ;

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