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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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maudissais, dit-elle, ce visage. J’aurais préféré être bossue, avoir une jambe plus courte – mais avec des cheveux blonds et des yeux bleus ! Mais non, j’étais plutôt jolie, sans difformités – et tout à fait brune ! Pour sortir du Ghetto sans risque d’être aussitôt identifiée comme juive, il fallait m’affubler d’un chapeau doublé d’un important col de fourrure pour dissimuler ma chevelure et mon nez. J’ai pu me cacher quelque temps chez la nièce du procureur de la République, amie de mes parents. Elle vivait avec sa tante et elles devaient partir en vacances ensemble. Elles m’ont laissé de la nourriture et je suis restée seule. Je ne devais ni tirer la chasse d’eau ni faire aucun bruit, car les voisins savaient qu’elles étaient en vacances. Je suis restée là deux ou trois semaines. C’était diabolique. Ensuite, ma soeur et moi avons été emmenées dans un couvent près de Varsovie, à Plody : le couvent des soeurs de la famille de la Vierge Marie. Il en existe plusieurs à travers la Pologne. À Plody, une quarantaine d’enfants juifs étaient déjà cachés. Ils étaient amenés par différents canaux, dont la filière d’Iréna Sendler. Mais certaines familles accompagnaient leurs enfants. Soeur Ludovica vous le dira : jamais les parents ne se présentaient comme tels ; ils préféraient annoncer qu’ils étaient un oncle ou une tante de l’enfant, et qu’ils venaient le confier au couvent. Ils donnaient le nom de l’enfant, puis partaient vite en rasant les murs. Les soeurs devaient transformer le nom et garder le secret absolu. Chaque enfant juif savait qu’il était juif, mais ne savait pas qui d’autre était juif, dans cette communauté de plusieurs centaines d’« orphelins » juifs et non juifs. Soeur Ludovica m’a raconté cette histoire très drôle d’une petite fille juive disant à une autre : “ Je ne voudrais pas être l’amie d’une Juive ”, en ignorant que l’autre aussi était juive ! Il y a eu, au couvent de Plody, des moments incroyables. La peur des bleus, par exemple.
    Les bleus étaient des policiers polonais – on les appelait ainsi à cause de leurs uniformes bleus – qui travaillaient main dans la main avec les nazis.
    « Un jour, un bleu est venu au couvent. Il s’est adressé à la mère supérieure et lui a déclaré : “ Je sais que vous cachez des enfants juifs, je vous demande de les dénoncer. ” La mère supérieure lui a rétorqué : “ Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ? ” Réponse du bleu : “ Non, je ne peux pas. Je suis catholique, j’ai été baptisé ici. Je ne veux pas aller en enfer… ” Et la mère supérieure : “ Pourquoi voudriez-vous que j’aille, moi, en enfer à votre place ? ” Eh bien, le policier n’a jamais osé dénoncer le couvent aux Allemands !»
     
    Margaret Acher se souvient avec clarté de sa vie à Plody. Elle ignorait ce qui se passait lorsque la révolte a éclaté dans le Ghetto de Varsovie, mais, depuis le jardin du couvent, on voyait au lointain un énorme nuage de fumée au-dessus de la ville. Elle a demandé au jardinier ce que c’était. Il a répondu : « C’est les Juifs qui grillent !»
    Margaret Acher raconte. Ses souvenirs égrènent tellement de tonalités ! Ainsi, cette histoire de l’officier de l’Armée rouge. Les Allemands sont en déroute. L’officier soviétique descend de son char et demande, en mauvais polonais, à Margaret et à sa soeur : « Vous êtes juives ?» Elles ont peur de l’avouer, on ne sait jamais… L’homme insiste : « Depuis Stalingrad, j’avance avec l’espoir de sauver un enfant juif… » Mais les deux fillettes ne répondent pas, et passent leur chemin. Quelques jours plus tard, en compagnie de leur père qui a pu, lui aussi, échapper aux massacres, elles croisent l’officier. Margaret raconte à son père ce qui s’est passé. Celui-ci interpelle le Soviétique et lui explique. L’officier se tourne alors vers les deux filles : « Vous m’avez fait une des plus grandes peines de ma vie… Je suis juif. Depuis Stalingrad, partout où je passe, je cherche à retrouver des gens de ma communauté. Mais il n’y a plus personne… J’arrive ici, je vois deux fillettes juives, et elles ont peur de me dire qui elles sont !»
    La remarque de cet officier – sans doute un être hors du commun – résume la situation d’alors : depuis Stalingrad, plus un Juif ! Trois millions et demi

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