La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
porte et découvrit la décoration habituelle de la chambre d'une petite fille de dix ou onze ans-cet ‚ge de transition entre l'enfance et l'adolescence: une demi-douzaine d'ours en peluche; des posters de chanteurs ou de vedettes de cinéma, idoles des adolescents totalement inconnues du prêtre; un portemanteau perroquet couvert de chapeaux plus extravagants les uns que les autres, probablement dénichés chez des fripiers; des patins à roulettes; un petit magnétophone; une fl˚te dans son étui entrouvert. L'autre soeur d'Emmy-pull blanc, jupe écossaise et chaussettes montantes-était au milieu de la pièce, p‚le et visiblement incapable de bouger.
Emmy était debout sur son lit et semblait en bien meilleure santé que le jour de NoÎl. Elle serrait contre elle son oreiller et riait aux éclats devant le spectacle qui effrayait tant le reste de la famille.
Au moment o˘ le père Wycazik entra dans la chambre, deux ours en peluche exécutaient à un mètre du sol un lent mouvement de valse avec des gestes aussi précis que ceux de danseurs de chair et d'os.
Les ours n'étaient cependant pas les seuls objets animés comme par enchantement. Les patins à roulettes se promenaient dans la chambre, roulant parfois de concert et parfois se séparant, décrivant des arabes-ques autour des pieds du lit. Les chapeaux frémissaient sur le portemanteau. Sur une étagère, un Bisounours sautillait sur place.
Stefan se dirigea vers le lit en prenant bien soin de ne pas se faire percuter par les patins à roulettes.
Émmy ? ª
La petite fille le dévisagea. Ć'est l'ami de Bouboule ! Bonjour, mon père. Regardez, c'est super, non ?
- Emmy, c'est toi qui fais cela ? dit-il en désignant les objets animés.
- Moi ? s'étonna-t-elle. Non, ce n'est pas moi. ª
Il remarqua que les ours valseurs ne dansaient plus aussi bien quand elle en détournait les yeux. Ils continuaient de tournoyer, certes, mais de façon assez désordonnée, sans la moindre gr‚ce.
Il comprit aussi que les phénomènes précédents n'avaient pas été aussi paisibles. Une lampe de céramique gisait, cassée, à terre. Un des posters était déchiré, le miroir de la coiffeuse brisé.
Suivant la direction de son regard, Emmy dit: ´ «a faisait peur, au début, mais ça s'est calmé. Maintenant, c'est drôle... Vous ne trouvez pas ça drôle ? ª
Alors même qu'elle parlait, la fl˚te quitta son étui et monta à près de deux mètres du sol, non loin du couple d'ours. Du coin de l'oeil, la petite fille vit l'instrument s'élever. Elle tourna la tête pour bien le fixer des yeux et un air champêtre sortit de l'instrument-pas des notes exécutées au hasard mais une mélodie douce et agréable. Emmy trépignait de joie sur son lit.
´ «a s'appelle "la Chanson d'Annie", c'est ce que je jouais tout le temps.
-Tu la joues à nouveau, tu vois, dit Wycazik.
- Oh non, dit-elle en regardant la fl˚te. Je suis guérie, mais mes doigts ne sont pas redevenus assez souples.
- C'est pourtant toi qui joues, Emmy, même si ce n'est pas avec tes doigts. ª
Elle comprit enfin ce qu'il voulait dire. Ć'est moi ? ª
La fl˚te émit encore deux ou trois notes, puis s'arrêta de jouer et commença à dériver dans l'air, comme un objet en apesanteur. Emmy la fixa du regard. Elle s'immobilisa et reprit la même mélodie.
Ć'est moi ª, dit-elle avec étonnement. Puis elle se tourna vers ses parents, debout dans l'encadrement de la porte. Ć'est moi. C'est moi ! ª
Stefan Wycazik comprenait parfaitement tout ce que l'enfant pouvait ressentir. Il avait la gorge nouée par l'émotion. Il y a un mois, Emmy n'était qu'une pauvre paralytique, incapable de s'habiller, avec pour unique avenir la perspective d'une plus grande détérioration, tout cela pour finir dans des souffrances atroces. A présent, elle était non seulement guérie, mais aussi en possession de ce don spectaculaire.
Emmy regarda alors les ours, qui exécutèrent aussi-
tôt leur impeccable chorégraphie. Elle éclata de rire.
Stefan repensa à ce que Winton Tolk lui avait dit, très peu de temps auparavant: Le pouvoir est toujours là, il est toujours en moi. Je le sais. Je le sens. Pas seulement le pouvoir de guérir. Il y a autre chose... autre chose...
Le père Wycazik aurait voulu leur dire que ce don lui avait été involontairement transmis par Brendan Cronin, son ami Bouboule; mais il lui aurait alors fallu expliquer d'o˘ Brendan le tenait lui-même, ce qu'il ne pouvait
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