La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
m'a semblé si long. Je dois être accro. Une dose d'Ernie toutes les deux ou trois heures, voilà ce qu'il me faut. ª
Il s'approcha du comptoir et ils s'embrassèrent.
Après trente et un ans de mariage, leurs baisers étaient toujours aussi passionnés, toujours aussi sincères.
Ó˘ as-tu mis le matériel électrique ? demanda-t-elle. Il est bien arrivé, au moins, il n'y a pas eu d'erreur ? ª
La question le renvoya brutalement aux ténèbres qui régnaient à l'extérieur et dont il prit conscience avec acuité. Il jeta un bref coup d'oeil par la fenêtre. ´ Heu...
non, non. Je suis fatigué. Je n'avais pas envie de déballer tout ça ce soir.
-Pour quatre cartons...
- Ecoute, je les sortirai demain matin, fit-il avec un effort pour contenir le tremblement de sa voix. Les trucs ne risquent rien dans la camionnette. Personne n'y touchera. Tu as mis les guirlandes de NoÎl ?
- quoi, tu viens seulement de le remarquer ? ª
Au-dessus du canapé, le mur était décoré de pommes de pin. Un grand Père NoÎl en carton était installé non loin du présentoir de cartes postales. Un petit traîneau et des rennes en céramique étaient posés sur le comptoir. Des boules multicolores et des guirlandes pendaient du plafond dans tout le hall.
Íl a fallu que tu montes à l'échelle, dit-il.
-J'ai pris un tabouret.
-Tout de même, tu aurais pu tomber. Tu aurais d˚ me laisser faire.
- …coute, Ernie, je ne suis pas une faible femme.
Vous autres, Marines, vous êtes tous un peu trop macho.
- Tu crois ? ª
La porte s'ouvrit et un camionneur entra pour demander une chambre.
Ernie retint son souffle jusqu'à ce que la porte se f˚t refermée.
Le routier portait un ensemble en jean, une ceinture pourvue d'une énorme boucle de cuivre et un chapeau dont le ruban en cuir était décoré de turquoises. Faye le complimenta pour son chapeau. Elle savait toujours détendre les étrangers pendant qu'ils remplissaient leurs fiches.
Ernie ne s'occupa pas du nouveau venu. Il essaya d'oublier la curieuse expérience qu'il venait de vivre et de ne pas penser aux ténèbres extérieures. Il passa derrière le comptoir, accrocha sa veste et se dirigea vers le bureau de chêne sur lequel était posé le courrier. Des factures, bien s˚r. Des publicités. La lettre d'une oeuvre charitable. Les premières cartes de voeux de l'année. Le chèque de sa pension d'ancien combattant.
Et puis, aussi, une enveloppe blanche sans adresse au dos. Elle ne renfermait qu'une photo en couleurs prise au PolaroÔd devant le motel, tout près de la chambre 9. On y voyait trois personnes, un homme, une femme et un enfant. L'homme n'avait pas loin de la trentaine, il était très bronzé. La femme, une petite brune, était un peu plus jeune. quant à la petite fille, très mignonne, elle ne devait pas avoir plus de cinq ou six ans. Tous trois souriaient à l'appareil photo. A en juger d'après les vêtements légers des personnages et la qualité de l'éclairage, la photo avait d˚ être prise en plein été.
Etonné, il la retourna pour voir s'il y avait quelque chose d'inscrit au dos. Rien, pas un mot. Et il n'y avait rien d'autre dans l'enveloppe, pas même une carte de visite permettant d'identifier l'expéditeur. La lettre avait été postée à Elko le 7 décembre, soit le samedi précédent.
Il regarda à nouveau les trois personnages et, bien que ne se souvenant absolument pas d'eux, il sentit un picotement à la nuque. Comme tout à l'heure dans la campagne. Son coeur s'accéléra. Tremblant, il reposa la photo sur le bureau.
Faye bavardait toujours avec le routier. Elle prit une clef, la lui tendit.
Ernie ne la quittait pas des yeux. Elle avait une influence apaisante sur lui. Elle était une ravissante petite fermière lorsqu'il avait fait sa connaissance, et elle était devenue une femme ravissante. quelques fils blancs commençaient peut-être à apparaître dans ses cheveux blonds, mais à peine les devinait-on. Ses yeux bleus étaient toujours aussi clairs et vifs. Elle avait un visage ouvert et amical, avec un côté mutin, un visage resté plein, épanoui.
quand l'homme fut parti Faye vint rejoindre Ernie.
Il lui tendit la photo. ´ qu est-ce que tu dis de cela ?
-C'est la chambre 9, fit-elle. Ils ont d˚ passer quelque temps ici. ª Elle observa l'homme, la femme, la petite fille. ´ Leurs visages ne me disent rien. Ce sont des étrangers pour moi.
- Dans ce cas, pourquoi enverraient-ils une photo sans même écrire
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