La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
fait pour l'argent, le reste n'étant qu'une façon de se dorer la pilule ?
Mais il n'arrivait pas à y croire. Il savait ce qu'il avait ressenti, et il savait à quel point ces sensations lui manquaient maintenant.
quelque chose se produisait en lui, comme une dérive, un voyage vers l'inconnu.
Il rangea les billets dans le sac, éteignit la lumière et contempla à nouveau Central Park en buvant de la bière.
En plus de sa récente incapacité à jouir de ses larcins, il était visité depuis quelque temps déjà par un cauchemar, toujours le même. Cela avait commencé il y avait six semaines, juste avant le cambriolage de la bijouterie, et le cauchemar était revenu une bonne demi-douzaine de fois.
Dans son rêve, il se voyait fuir devant un homme portant un casque de motard à visière fumée. Du moins croyait-il qu'il s'agissait d'un casque de motard, parce qu'il n'en distinguait aucun détail; de même, il ne voyait rien de son poursuivant. L'étranger lui courait après dans des pièces inconnues, des couloirs interminables et, surtout, sur une route déserte tracée au beau milieu d'un désert inondé par la clarté lunaire.
Chaque fois, la panique montait en lui comme la pression dans une chaudière, dont l'explosion le faisait se réveiller.
L'homme au casque était un flic et Jack allait bientôt se faire prendre. Ce cauchemar était facile à interpréter. Trop facile en fait. Parce que Jack n'avait jamais au coeur même du rêve, l'impression d'être poursuivi par un flic. Non, c'était autre chose.
Il espérait qu'il ne ferait pas ce rêve cette nuit-ci.
La journée avait été suffisamment éprouvante.
Il prit une autre bière et revint près de la fenêtre.
C'était le 8 décembre et Jack Twist-ancien officier du corps d'élite des Rangers ancien prisonnier d'une guerre oubliée, à qui un miliier d'Indiens devaient la vie sans le savoir-se demanda s'il avait tout simplement perdu le courage de continuer à vivre. Si le vol ne lui procurait plus aucune sensation, il lui faudrait très vite retrouver un sens à sa vie.
Elko County, Nevada
Ernie Block n'avait jamais roulé aussi vite entre Elko et le Tranquility Motel.
La dernière fois qu'il avait fait une telle pointe, c'était au Viêt-nam, à l'époque o˘ il travaillait pour les services secrets de la marine. Il était au volant d'une jeep et, croyant traverser un territoire allié, s'était tout à coup retrouvé sous le feu de l'ennemi. Les obus de mortier creusaient des cratères dans la chaussée les balles sifflaient à ses oreilles et s'écrasaient sur la carrosserie. Il avait failli mourir vingt fois et s'en était tiré avec quelques égratignures et une surdité temporaire. Les quatre pneus crevés, la jeep fonçait sur ses jantes.
La peur qu'il avait éprouvée alors n'était rien à côté
de ce qu'il ressentait à présent. La nuit allait bientôt tomber. Juste après déjeuner, il avait pris la Dodge pour aller chercher des marchandises à Elko. Faye s'occupait de l'hôtel et lui-même avait tout le temps de faire l'aller et retour avant la nuit.
Mais il avait crevé un pneu à l'aller et perdu du temps à changer la roue. Ne voulant pas revenir sans roue de secours, il avait fait réparer la chambre à air à Elko et cela avait inexplicablement pris plus de deux heures. De sorte que le soleil déclinait déjà à l'ouest du Grand Bassin.
Il garda l'accélérateur au plancher pendant presque tout le trajet, frôlant les quelques véhicules qui venaient en sens inverse. Il savait qu'il ne pourrait rouler une fois la nuit tombée et qu'il lui faudrait s'arrêter sur le bas-côté. On le retrouverait alors au matin, les mains crispées sur le volant, les yeux fous d'avoir toute une nuit contemplé les ténèbres immenses du paysage.
Pendant les deux semaines et demie écoulées depuis Thanksgiving, il avait réussi à cacher à Faye sa peur irrationnelle du noir. Après le retour de sa femme du Wisconsin, Ernie avait eu de plus en plus de mal à dormir sans veilleuse, ce à quoi il s'était habitué pendant son absence. Heureusement, elle ne lui avait pas proposé d'aller au cinéma en ville. Il lui aurait fallu trouver une excuse.
Il gardait donc précieusement son secret.
Toute sa vie durant, dans les Marines ou ailleurs, il avait donné le meilleur de lui-même et fait tout ce qu'on exigeait de lui. Il n'allait tout de même pas flancher devant sa propre femme.
Derrière le volant de la camionnette Dodge,
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