La fuite du temps
faire.
— Peut-être lui,
mais moi, je sors magasiner le samedi, rétorqua-t-elle.
Elle lui mentait
pour ne pas avoir à lui avouer qu'il était maintenant entendu qu'elle allait
rendre une courte visite à Carole chaque samedi après-midi.
A bout
d'arguments, Gérard alla retirer son uniforme de gardien du port. Quelques
minutes plus tard, armé d'un tournevis et d'un marteau, il se mit en devoir
d'enlever les vieilles persiennes vertes à la peinture craquelée pour les
remplacer par les contre-fenêtres.
— Essaye de pas
mettre tes mains dans mes vitres propres, lui ordonna sa femme qui, de
l'intérieur, obstruait les interstices avec des lanières de tissu taillées dans
des chiffons.
Le travail prit
fin un peu avant six heures. La porte-
moustiquaire
avait même été enlevée pour être remplacée par la contre-porte vitrée.
— Un coup partis,
on est aussi ben de nettoyer les tuyaux, dit Laurette.
Cette suggestion
avait quasiment la forme d'un ordre.
— On pourrait ben
attendre un autre soir, dit son mari, peu enthousiaste.
— Il faut en
profiter pendant qu'on chauffe pas, déclara Laurette sur un ton qui ne
souffrait aucune contestation.
En plus, j'ai pas
envie de mettre de la suie partout quand je viens de faire mon ménage. À soir,
ça tombe ben, je fais mon ménage demain.
Pendant plus de
trente minutes, le mari et la femme, montés sur des chaises, enlevèrent une à
une des sections
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de tuyaux pour
aller les nettoyer dans la cour, au-dessus des poubelles, avant de revenir les
installer. Ces derniers, suspendus à quelques pouces du plafond, allaient de la
fournaise du couloir jusqu'à la cheminée située derrière le poêle de la
cuisine.
— Tu parles d'une
heure pour souper, se plaignit Gérard en s'assoyant à table un peu après sept
heures.
On va ben juste
avoir le temps de digérer avant d'aller se coucher.
Sa femme fit
comme si elle ne l'avait pas entendu et lui servit une assiette de spaghettis
réchauffés.
Une heure plus
tard, Jean-Louis rentra à la maison. Il retira son manteau, salua ses parents
et s'empressa de se retirer dans sa chambre après s'être préparé une tasse de
café. Gérard attendit d'entendre claquer la porte de la chambre de son fils
avant de dire à sa femme: — Il a ben le taquet bas de ce temps-là. Qu'est-ce
qu'il y a qui marche pas avec lui? — Je le sais pas. Il dit jamais un mot.
— Peut-être que
si tu lui passais ton fauteuil une heure ou deux le soir, ça le mettrait de
bonne humeur... Comme
moi. J'ai pensé
qu'on devrait peut-être l'avoir chacun notre tour, ajouta-t-il en guise de
plaisanterie.
— Que j'en voie
un mettre la main sur mon fauteuil!
menaça Laurette.
Ce fauteuil-là est à moi. C'est un cadeau de fête. Je vois pas pourquoi je vous
le passerais. Si t'en veux un, demandes-en un aux enfants pour Noël. Jean-
Louis, lui, il a
ben assez d'argent pour s'en payer un.
L'humeur chagrine
du caissier s'expliquait pourtant.
Depuis plusieurs
semaines, Jean-Louis Morin attendait l'appel du siège social pour commencer son
apprentissage du travail de moniteur. Chaque jour qui passait sans nouvelles le
mettait sur des charbons ardents. Marthe Paradis avait toutes les peines du
monde à le calmer.
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— Pour moi, ils
m'ont oublié, répétait-il. La première chose que je vais savoir, c'est qu'ils
en auront choisi un autre à ma place.
— Mais non,
disait Marthe pour le rassurer. J'ai parlé à Colette Béliveau du siège social
pas plus tard que la semaine passée. Il paraît qu'ils ont un problème avec le
training, mais ça s'en vient.
Cependant,
Jean-Louis s'inquiétait de plus en plus tant il craignait que cette possibilité
d'une promotion lui échappe. S'il acceptait d'aller boire une tasse de café au
restaurant Rialto trois ou quatre fois par semaine en compagnie de Marthe,
c'était en grande partie pour l'interroger sur les difficultés que dissimulait
son poste de monitrice.
Il voulait tout
savoir. De plus, même s'il n'en disait pas un mot, il n'en restait pas moins
qu'il était très préoccupé par le fait que l'augmentation de salaire qu'allait
lui valoir son nouvel emploi continuait à lui filer sous le nez tant qu'il ne
l'occupait pas.
Le lendemain
matin, Laurette se réveilla à six heures en frissonnant. A son entrée dans la
cuisine, elle s'empressa d'allumer le poêle pour réchauffer
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