La fuite du temps

travail et son goût du risque avaient
rapporté des dividendes. Propriétaire de quatre camions en
    1970, il avait
soudainement décidé de tout vendre pour proposer à son oncle Rosaire de lui
racheter son fonds de commerce. Ce dernier, aux prises avec des problèmes de
santé, avait fini par accepter l'offre de son neveu. Dès le départ, Jocelyne
avait abandonné son emploi à la MacDonald Tobacco pour s'occuper de la
comptabilité du garage. Au début, le couple n'avait pas roulé sur l'or, mais au
fil des années, la vente de voitures usagées était devenue si rentable que son
propriétaire avait décidé d'investir et de devenir un concessionnaire Ford. Les
affaires allaient bien et les modèles 1982, qui venaient d'apparaître sur le
marché, «se vendaient comme des petits pains chauds», affirmait Richard à ses
proches.
     
    — Où est-ce que
vous nous amenez souper? finit par demander Gérard en voyant que son fils se
dirigeait vers l'est.
     
    — À L'Étoile de
l'Est, rue Ontario, laissa tomber le conducteur.
     
    — C'est quoi, ce
restaurant-là? fit Laurette, curieuse.
     
    — Un petit
restaurant ben ordinaire, madame Morin, répondit sa bru. Vous connaissez votre
garçon, c'est pas le genre à garrocher son argent par les fenêtres.
     
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    — C'est ça, dit
Richard en feignant d'être fâché. Dis tout de suite que je suis séraphin...
     
    — Ben non, dit
Jocelyne sur un ton apaisant. Je disais ça pour t'agacer.
     
    Quelques minutes
plus tard, la voiture s'arrêta devant un restaurant qui ne payait pas de mine.
Aucun des quatre adultes qui descendaient du véhicule ne remarqua alors qu'un
rideau légèrement écarté à l'une des vitrines du restaurant venait de retomber.
     
    — Chut!
Taisez-vous! ordonna Gilles en circulant rapidement au milieu de la quarantaine
de personnes massées dans la pénombre de la salle de réception de L'Étoile de
l'Est. Ils arrivent!
     
    Les chuchotements
se turent presque instantanément et on attendit dans le plus parfait silence
l'entrée des jubilaires. La porte s'ouvrit soudain et chacun put entendre
clairement Laurette demander: — Veux-tu ben me dire, bonyeu, où tu nous amènes
là? Il y a même pas de lumière.
     
    Richard Morin
n'eut pas à répondre à sa mère. Gilles alluma subitement les plafonniers de la
salle et la septuagénaire découvrit, ébahie, toute sa famille rassemblée devant
elle. Elle s'étreignit la poitrine de saisissement.
     
    — Ben, voyons
donc! s'exclama-t-elle. Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-elle, stupéfaite, à
son mari, debout à ses côtés.
     
    — Vous pensiez
tout de même pas qu'on était pour laisser passer votre cinquantième
anniversaire de mariage sans rien faire, intervint Denise en invitant sa mère
et son père à se débarrasser de leur manteau.
     
    Au moment où
chacun s'avançait vers Gérard et Laurette pour leur souhaiter un bon
anniversaire, Alain, l'aîné de Denise, fît tourner L'Hymne à l'amour interprété
par Edith Piaf. C'était la chanson préférée de sa grand-mère.
     
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    ÉPILOGUE Un
brouhaha extraordinaire remplaça rapidement le silence qui régnait dans la
pièce quelques instants plus tôt.
     
    — Richard Morin,
t'es un bel hypocrite, l'accusa sa mère devant la dizaine de personnes qui la
cernaient. Vous savez pas ce qu'il nous a dit à midi? Je viens vous chercher à
cinq heures pour vous amener souper au restaurant. On fête à soir la vente de
mon cinq centième char. Et moi, belle niaiseuse, je l'ai cru. Une chance qu'il
m'a dit de m'habiller comme du monde.
     
    — J'ai pas dit
ça, m'man, intervint le vendeur de voitures en riant.
     
    — Non, mais tu
m'as dit que le restaurant était pas mal chic, par exemple.
     
    Catherine se
fraya un chemin vers sa grand-mère, l'embrassa sur une joue et la prit par la
taille. L'adolescente ressemblait beaucoup à sa tante Denise avec son visage
fin, ses yeux noisette et ses cheveux bruns bouclés. Laurette la regarda avec
beaucoup de tendresse. Personne n'ignorait dans la famille Morin que Catherine
était sa petite-fille préférée.
     
    — Bon, c'est ben
beau tout ça, mais on n'est pas pour passer la soirée debout devant la porte,
déclara Gilles en faisant signe à son frère Jean-Louis de jouer son rôle de
maître de cérémonie.
     
    Le gérant de
banque fit un signe de la tête indiquant qu'il avait compris et alla à l'avant
de la salle s'emparer du micro.
     
    — J'inviterais
tout le monde à prendre place