La fuite du temps
boire quelque chose, lui offrit Laurette, désireuse de se faire
pardonner sa petite saute d'humeur.
— Vous êtes ben
fine, madame Morin, mais ma soeur est supposée passer dans la soirée et
j'aimerais pas qu'elle vienne pour rien.
Après le départ
du jeune couple quelques minutes plus tard, Gérard et Laurette rentrèrent. Ils
rejoignirent Jean-
Louis déjà
installé devant le téléviseur, dans la cuisine. A la fin de la soirée, Gilles
et Carole les trouvèrent en train
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de regarder
Folies Bergères avec Maurice Chevalier. Ils avaient passé la journée chez une
cousine de Florence qui habitait une vieille maison, à Terrebonne.
— Il y a un tacot
bleu devant la porte qui a pris ma place habituelle, déclara Gilles en se
préparant une tasse de café.
— C'est le char
de ton père, lui apprit Laurette d'une voix neutre.
— Pas vrai!
Dites-moi pas que vous vous êtes acheté un char, p'pa? demanda le jeune homme,
enthousiaste.
— Ben oui.
— Je suis ben
content pour vous. Qui va vous montrer à conduire? — Richard a commencé.
— Si vous voulez
avoir de l'aide, j'ai tout le temps qu'il faut, lui offrit l'enseignant.
— Eux autres et
leurs maudits chars! pesta Laurette.
Veux-tu ben me
dire ce qu'ils trouvent là-dedans qui les rend complètement fous? Les hommes
affichèrent tous un sourire rêveur, mais personne ne put lui répondre.
Le lendemain
matin, Laurette se réveilla en sursaut, se demandant ce qui avait bien pu la
déranger. Gérard n'était pas étendu à ses côtés et elle jeta aussitôt un coup
d'oeil au réveille-matin pour regarder l'heure. Sept heures. Durant un bref
moment, elle se demanda ce qui se passait. Le dimanche matin, elle avait
toujours du mal à le sortir du lit à temps pour la messe de neuf heures et
demie.
Puis elle se
souvint que c'était le bruit d'une portière de voiture qui l'avait tirée du
sommeil. Elle se leva et alla écarter le rideau qui masquait la fenêtre de sa
chambre à coucher.
— Ah ben bonyeu,
j'aurai tout vu! s'exclama-t-elle en apercevant Gérard en train de laver sa
voiture.
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Elle écarta le rideau
et poussa les persiennes.
— Gérard!
l'appela-t-elle à mi-voix.
— Quoi?
demanda-t-il sur le même ton.
— Es-tu malade de
laver ton char à cette heure-là, en plein dimanche matin? — Il est pas si de
bonne heure que ça.
— À part ça, il
est pas sale pantoute, ce char-là.
— On est allés
dans la cour avec hier soir. Il est plein de poussière.
— Maudit! je
pensais pas vivre assez vieille pour te voir laver quelque chose, toi.
— T'es ben drôle.
— En tout cas, tu
ferais peut-être mieux de pas le frotter tant que ça. Tu vas finir par user la
peinture, se moqua-
t-elle avant de
refermer les persiennes.
Ce dimanche matin
là, Gérard annonça que c'était le dernier dimanche qu'ils allaient à la messe à
pied.
— À partir de la
semaine prochaine, on va y aller en char.
— Ben oui, dit
Laurette, sarcastique. On va être ben avancés. On va être obligés d'aller le
parquer de l'autre bord de la rue Dufresne. Si ça se trouve, on va marcher plus
pour aller jusqu'à l'église que ce qu'on marche aujourd'hui.
Gérard ne tint
aucun compte de son commentaire défaitiste et la journée du dimanche passa, en
grande partie, à faire admirer son achat à ses beaux-frères Armand et Bernard,
qui s'étaient déplacés expressément pour venir admirer la merveille.
Ce jour-là,
Gilles et Pierre Crevier se dévouèrent à tour de rôle pour donner des leçons de
conduite et, à la fin de la journée, Gérard, magnanime, permit à son gendre
d'utiliser sa Chevrolet pour donner une première leçon à un Jean-Louis
particulièrement nerveux.
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— Je pense pas me
tromper, monsieur Morin, déclara Pierre au retour, mais votre garçon est pas
mal doué. Il passe déjà sans mal ses vitesses. Pour moi, avec trois ou quatre
leçons, il va être prêt à aller passer ses licences.
Rouge de plaisir,
Jean-Louis écouta son beau-frère sans faire de commentaires. Il était évident
qu'il avait adoré conduire une voiture.
Par ailleurs, il
fallut beaucoup plus qu'une semaine pour que Gérard Morin apprenne à conduire à
peu près convenablement sa Chevrolet. Richard et Gilles surent se montrer
patients et acceptèrent que Jean-Louis devienne, lui aussi, leur élève assidu.
Pour une fois, le
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