La fuite du temps

amie
Valérie.
     
    De plus, son
amoureux se faisait de plus en plus distant et il lui fallait presque le
supplier pour qu'il accepte de venir la voir de temps à autre.
     
    Sa mère l'avait
entendue insister longuement au téléphone pour qu'il vienne la visiter le
lendemain soir et cela l'avait révoltée.
     
    — Dis-moi pas,
bonyeu, que t'es obligée de te mettre à genoux devant lui pour qu'il vienne
veiller avec toi, à cette heure? s'était-elle emportée dès que Carole avait
raccroché l'écouteur.
     
    — Il est fatigué,
m'man, avait mollement plaidé sa fille.
     
    — Viens donc pas
me faire rire, toi! Un sans-coeur qui travaille même pas! Veux-tu ben me dire
ce qui peut le fatiguer? — Il est découragé.
     
    — Mon oeil, oui!
Fais ben attention, ma petite fille, que ce gars-là rie pas de toi en pleine
face! la mit-elle en garde.
     
    C'est pas normal
pan toute ce qui se passe entre vous deux.
     
    Il faudrait pas
qu'il s'amuse à te faire perdre tes plus belles années à niaiser. Ça fait
plusieurs fois que je te le dis. Tu ferais peut-être mieux de te demander si
t'as un avenir avec un tarla pareil.
     
    — Vous dites ça
parce que vous l'aimez pas, m'man.
     
    — Donne-moi juste
une bonne raison de l'aimer...
     
    La conversation
avait ainsi pris fin et Carole s'était empressée d'aller se réfugier dans sa
chambre.
     
    Depuis quelques
semaines, elle avait une raison bien plus importante de s'inquiéter. Elle avait
pris du retard, un sérieux retard. Presque un mois de retard. Elle avait
toujours été passablement irrégulière, mais quand même.
     
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    Bien sûr, il lui
était déjà arrivé d'avoir «ses affaires», comme le disait pudiquement sa mère,
avec deux semaines de retard. Mais là, cela faisait presque un mois...
Peut-être était-ce dû à la peur qu'elle éprouvait de sentir André lui échapper
peu à peu? La déception de ne pouvoir aller vivre dans son propre appartement
pouvait y être aussi pour quelque chose. Elle ne savait pas trop.
     
    Durant le jour,
son travail l'empêchait de trop réfléchir, mais une fois derrière la porte
close de sa chambre à coucher, chaque soir, elle ne pouvait s'empêcher de
sombrer dans le plus noir désespoir.
     
    — Ça se peut pas!
Ça se peut pas! ne cessait-elle de se répéter. C'est arrivé juste une fois! Le
bon Dieu peut pas me punir comme ça. Je le voulais même pas.
     
    Elle sentait
sourdre en elle quelque chose d'étrange qu'elle n'avait encore jamais ressenti
auparavant et une peur panique la paralysait.
     
    — C'est juste un
retard, se répétait-elle à voix basse.
     
    Demain matin, ça
va être reparti et il en sera plus question.
     
    Ça va être
oublié. Je promets que ça m'arrivera plus jamais.
     
    C'est juré.
     
    Ce qu'elle aurait
aimé pouvoir parler avec sa cousine Louise! Depuis son emménagement rue
Parthenais, la jeune fille de vingt-deux ans lui avait téléphoné régulièrement
chaque semaine, mais comment parler librement quand sa mère écoutait tout ce
qu'elle lui disait. Bien sûr, elle ne lui aurait pas parlé de ses craintes,
mais elle aurait pu au moins discuter du comportement d'André. Louise avait
connu une peine d'amour l'année précédente et son expérience malheureuse lui
avait conféré une certaine sagesse à ses yeux.
     
    Dommage qu'elle
ne se sente pas assez proche de sa soeur, Denise, pour lui parler à coeur
ouvert. A ses yeux, Denise était un peu trop vieux jeu et avait souvent des
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    réactions
semblables à celles de sa mère. Plus de huit ans les séparaient. Sa soeur aînée
avait déjà oublié ce que c'était qu'être jeune. Elle était devenue une mère de
famille qui ne comprendrait rien à ce qu'elle vivait.
     
    Ce soir-là,
Carole s'endormit très tard, mais non sans avoir pris la résolution d'aller
rencontrer sa cousine le lendemain après-midi, après sa journée de travail. Elle
avait trop besoin de se confier, de parler de ses inquiétudes d'amoureuse
délaissée à quelqu'un. Louise avait toujours été d'une discrétion exemplaire.
Il fallait absolument qu'elle lui parle d'André.
     
    Le lendemain
matin, Carole prévint sa mère qu'elle ne rentrerait pas souper.
     
    — Après
l'ouvrage, je vais faire une surprise à Louise.
     
    Je vais aller la
rejoindre à son bureau et on va aller souper ensemble, dit-elle à sa mère. Je
l'ai pas vue depuis que mon oncle est déménagé sur Parthenais.
     
    Laurette ne fît
aucun commentaire, heureuse de