La fuite du temps
pour m'en servir,
bonyeu!
Finalement, si la
réaction de Pierre Crevier avait été une incitation à la prudence en apprenant
la mésaventure de sa belle-mère, Richard, lui, avait immédiatement proposé
d'aller casser la figure à celui qui avait osé venir menacer la sécurité de sa
mère. Il avait fallu que ses parents le calment pour le faire renoncer à son
projet de vengeance.
Chapitre 6
Un caprice de
Gérard Quinze jours plus tard, un samedi après-midi, Laurette renonça à aller
faire sa tournée hebdomadaire des grands magasins pour laver ses fenêtres
couvertes de poussière et nettoyer à fond les vieilles persiennes qui les protégeaient
lorsque le soleil tapait trop dur.
— Je me serais
débarrassée de cet ouvrage-là hier s'il avait pas mouillé, dit-elle avec
mauvaise humeur en remplissant un seau d'eau. Mais je suis tout de même pas
pour laisser mes vitres sales comme ça et passer pour une cochonne juste pour
le plaisir d'aller me promener dans l'ouest.
Gérard avait
haussé les épaules et s'était bien gardé de lui proposer son aide.
— Apporte-moi au
moins l'escabeau, ordonna-t-elle à son mari au moment où elle sortait de la
maison, armée de son seau et de serpillières.
Il venait à peine
de déposer le vieil escabeau en bois sur le trottoir devant la fenêtre de leur
chambre qu'un énorme camion rouge maculé de boue s'engagea bruyamment dans la
petite rue Emmett. Le mastodonte vint s'immobiliser le long du trottoir, à
quelques pieds de Gérard et de sa femme.
Le couple vit un
Richard tout fier en descendre.
— Mais il est ben
sale, ton truck, lui dit sa mère en examinant le gros camion.
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— C'est normal,
m'man. On charrie de la terre. J'ai pas les moyens de perdre mon temps à le
laver tous les jours.
Venez-vous faire
un tour. Vous allez voir que c'est pas mal le fun de monter là-dedans.
— Une autre fois,
peut-être, dit-elle. Là, je veux laver mes vitres. Vas-y avec ton père. Je
pense qu'il demande pas mieux que de sortir de la maison.
— Embarquez-vous,
p'pa? J'ai fini de travailler. Je vais laisser le truck à mon homme et
reprendre mon char.
Gérard ne se fit
pas prier pour monter à bord. Le lourd camion s'ébranla lentement et tourna
dans la rue Archambault, forçant les adolescents en train de jouer à la balle
au milieu de la rue à se réfugier sur le trottoir pendant un court moment.
Laurette occupa
une bonne partie de son après-midi à nettoyer ses fenêtres avec soin. Après
avoir rangé l'escabeau et vidé son seau, elle se versa un grand verre de
boisson gazeuse qu'elle savoura lentement en fumant une cigarette. Soudain,
elle leva la tête et regarda l'heure indiquée par l'horloge électrique
suspendue au mur de la cuisine: quatre heures et demie. Gérard n'était pas
encore rentré.
— Veux-tu ben me
dire où ton père est passé? demandât-
elle, inquiète, à
Jean-Louis en train de lire La Patrie dans la cuisine. Ça fait presque trois
heures qu'il est parti avec ton frère. Il a dû leur arriver un accident avec ce
maudit truck-là.
— Voyons, m'man!
Avec un gros truck comme ça, il peut rien arriver. C'est un vrai char d'assaut,
la raisonna son fils pour la rassurer.
À l'extérieur, le
portillon de la clôture de la cour arrière fut refermé à la volée et ce
claquement fit sursauter les deux occupants de la cuisine qui levèrent la tête
en même temps. Laurette vit son mari, le visage illuminé par un
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large sourire, se
diriger vers le balcon, suivi de près par Richard.
— Bonyeu, vous
êtes ben allés virer loin! leur dit-elle au moment où les deux hommes prenaient
pied sur la galerie. Il est presque cinq heures.
— Ça fait
longtemps qu'on a lâché le truck, répondit Gérard. Richard l'a laissé à Maheu,
un de ses chauffeurs, dix minutes après être parti d'ici. Après, on a pris son
char et on est allés voir Rosaire à son garage.
— Pourquoi? —
Rosaire voulait me montrer quelque chose, répondit son mari en s'allumant une
cigarette.
— Qu'est-ce qu'il
voulait te montrer? — Un char de seconde main qu'il a reçu la semaine passée.
— Ah non! T'es
pas pour recommencer avec ça!
s'exclama-t-elle,
déjà sur ses gardes.
— J'aurai pas à
recommencer pantoute parce que je l'ai acheté, déclara Gérard sur un ton résolu.
Il est déjà devant la porte en avant.
— C'est pas vrai,
verrat!
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