La fuite du temps

cartables
remplis de notes prêtés par sa monitrice et s'assit dans l'intention de
consacrer sa soirée à leur étude.
     
    Il n'avait
annoncé à personne qu'il avait posé sa candidature à un poste de moniteur,
encouragé par Marthe Paradis qui ne cessait de lui répéter qu'il possédait tout
ce qu'il fallait pour devenir moniteur puis comptable à la banque.
     
    Après avoir aidé
à remettre de l'ordre dans la cuisine, Carole s'empressa de se réfugier à son
tour dans sa chambre surchauffée. Elle mit son ventilateur en marche avant de
s'étendre sur son lit pour une courte sieste. Elle aurait bien aimé pouvoir
aller rendre une brève visite à sa cousine Louise, mais elle ne se sentait pas
encore prête à rencontrer son nouveau compagnon de vie. Elle entendit son père
s'installer sur le balcon avec son journal, tout près de sa fenêtre, et elle en
fut agacée.
     
    — Il me semble
que ça doit faire drôle de vivre avec un prêtre, se dit-elle. Moi, ça me
figerait. En tout cas, je sais pas comment je vais l'appeler quand je vais le
voir la prochaine fois. Est-ce que je vais l'appeler monsieur l'abbé ou bien
Serge, comme s'il était comme tout le monde? Je le sais pas pan toute.
     
    Puis ses idées
s'orientèrent dans une autre direction.
     
    Elle se releva et
se plaça de profil devant le miroir installé derrière la porte de sa chambre
pour examiner sa silhouette.
     
    — Ça paraît pas
trop encore, même si j'en suis à mon quatrième mois, se dit-elle en rentrant le
ventre au maximum... mais ça va finir par paraître, c'est sûr, ajoutât-
    elle pour elle-même
en sentant l'angoisse l'envahir de nouveau.
     
    Elle retourna
s'étendre sur son lit et attendit que le sommeil vienne à son secours. La
porte-moustiquaire
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    claqua et elle
entendit tout près la voix de sa mère annoncer qu'elle allait s'asseoir en
avant.
     
    — Ça sent trop
les poubelles en arrière, déclara-t-elle à son mari. Je sais pas comment tu
fais pour endurer ça.
     
    — C'est des idées
que tu te fais, répondit ce dernier en levant le nez de son journal. Les
poubelles sont en bas, proches du hangar. Ici, ça sent rien. Moi, me faire
examiner par tout le monde qui passe sur la rue, j'haïs ça. J'aime mieux lire
tranquille en arrière.
     
    — Fais donc ce
que tu veux, répliqua brusquement Laurette en rentrant.
     
    La mère de
famille traversa l'appartement, prit sa chaise berçante pliante appuyée contre
le mur du couloir et alla la déposer sur le trottoir. Elle rentra un instant
pour se verser un grand verre de cola et sortit s'asseoir en poussant un grand
soupir de soulagement. Elle s'empressa de s'allumer une cigarette tout en
sirotant sa boisson gazeuse.
     
    En cette soirée
torride de juillet, les enfants étaient tous à l'extérieur. La chaleur et
l'humidité ne semblaient pas leur enlever l'envie de jouer. Quelques-uns
avaient organisé une partie de balle dans la rue Archambault tandis que
d'autres, montés sur des bicyclettes, s'amusaient à freiner brutalement ou à
faire du slalom entre les chaises et les autres obstacles rencontrés sur les
trottoirs.
     
    L'air était comme
immobile et le ciel ennuagé avait pris une vilaine teinte violacée.
     
    — On va en avoir
toute une quand ça va tomber, prédit Catherine Bélanger qui venait de prendre
place aux côtés de son mari devant la porte voisine.
     
    — J'espère que ça
tardera pas trop, dit Laurette. Je trouve ça étouffant à mort, une température
comme ça.
     
    Au moment où elle
disait cela, un adolescent monté sur une bicyclette apparut dans son champ de
vision. Avant même qu'elle ait eu le temps de réagir, l'énergumène était
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    parvenu à passer
à toute vitesse entre sa chaise berçante et l'étroite bordure du trottoir en
évitant ses pieds de justesse.
     
    — Ah ben, mon
maudit grand niaiseux! s'écria-t-elle en se levant. Que je te voie venir me
passer sur les pieds encore une fois, toi! Tu vas apprendre comment je m'appelle.
     
    Le cycliste pris
à partie freina brutalement devant le dépanneur au milieu d'une demi-douzaine
d'adolescents qui saluèrent bruyamment son exploit. Le sourire moqueur du jeune
garçon ne fit qu'attiser le courroux de Laurette qui fit un pas en direction de
l'effronté, prêt à détaler.
     
    — Mon petit
bâtard! Si jamais tu me refais ça, je vais sacrer un coup de pied dans tes
broches de bicycle et tu vas te retrouver à l'hôpital, tu m'entends, petit
baveux? Devant l'air