La fuite du temps
il fait
aussi chaud. On se reprendra une autre fois. On venait juste vous dire bonjour
en passant.
Laurette
n'insista pas.
Quelques minutes
plus tard, au moment où le jeune couple allait prendre congé, Jean-Louis rentra
à la maison, le veston sur le bras et la cravate légèrement desserrée.
— Sacrifice, mon
frère, on dirait que t'as fini de travailler plus tard que d'habitude, lui fit
remarquer Gilles. Il est presque six heures.
— Tiens, vous
êtes revenus du Nord, vous deux, constata le caissier en adressant un sourire
sans chaleur à son frère et à Florence. Qu'est-ce qui se passe? Les mouches
noires et les maringouins ont fini par vous faire peur? — On est presque
habitués, lui dit Florence sans grande conviction en lui tendant une joue pour
qu'il l'embrasse.
Depuis sa
première rencontre avec le frère de son mari, l'institutrice ne s'était jamais
sentie très à l'aise en sa
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présence.
Cependant, elle s'était promis de s'efforcer de faire bonne figure au fils aîné
des Morin dont elle s'expliquait mal la froideur et la timidité.
— À part ça, j'ai
pas fini de travailler plus tard que d'habitude. Je suis juste allé boire un
Coke au restaurant avec quelqu'un qui travaille à la banque avec moi, expliqua
le caissier avec une certaine réticence.
— Est-ce que
c'est avec la fille qui était avec toi à nos noces? lui demanda Gilles, un peu
curieux.
— Oui.
— Elle a l'air
pas mal fine, fit sa jeune belle-soeur.
— C'est juste une
amie, tint à préciser encore une fois Jean-Louis. Bon. Si ça vous fait rien, je
vais aller me changer. J'ai trop chaud.
— Nous autres
aussi, on y va, annonça Florence en se levant.
— Pourquoi vous
attendez pas un peu? Carole est à la veille d'arriver de travailler, suggéra
Gérard.
— On la verra une
autre fois, dit Gilles. De toute façon, on a ben l'intention de revenir vous
voir avant de repartir en fin de semaine.
— Avez-vous tout
ce qu'il vous faut? demanda Laurette en se mettant péniblement debout sur des
jambes qui avaient enflé à cause de la chaleur humide.
— On a fait des
commissions en s'en venant, lui expliqua Florence. On a juste à les mettre dans
le réfrigérateur en entrant.
Les jeunes mariés
n'étaient pas partis depuis plus de dix minutes que Carole rentra à la maison
après sa journée de travail au bureau. La jeune fille avait les traits tirés
par la fatigue.
— Qu'est-ce qu'on
mangerait ben à soir? demanda Laurette à la ronde. Il fait tellement chaud que
j'ai pas le goût pantoute de faire à manger.
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— On pourrait
juste se faire des sandwichs au baloney et aux tomates, proposa Gérard qui
venait de commencer la lecture de La Presse qu'il était allé chercher au
dépanneur du coin.
— Moi, ça ferait
aussi mon affaire, annonça Jean-Louis en sortant de sa chambre.
— Moi aussi. J'ai
pas ben faim, reconnut Carole en train de retirer ses souliers à talons hauts.
— Si c'est comme
ça, on va tout mettre sur la table et chacun va se faire ses sandwichs, déclara
la mère de famille en ouvrant la porte du réfrigérateur.
Ce soir-là, le
souper fut vite expédié tant chacun était impatient d'échapper à l'air chaud et
humide qui régnait dans la maison.
— C'est de valeur
que le char soit en réparation. On aurait pu aller faire un tour en dehors de
la ville et prendre l'air, dit Jean-Louis, comme si la Chevrolet paternelle lui
appartenait.
— Ça tombe mal,
mais il est cassé, laissa tomber son père. Si t'avais un char, on aurait pu
prendre le tien, par exemple.
— Vous y pensez
pas, p'pa, protesta le caissier. Ça coûte ben trop cher. Moi, j'ai pas les
moyens d'en avoir un.
— Arrête donc,
toi, répliqua le père de famille en sortant son étui à cigarettes de la poche
de sa chemise. Si je suis capable d'en avoir un, t'es capable, toi aussi. Tu gagnes
plus d'argent que moi. Colle pas tout ton argent dans ton compte de banque,
dépenses-en un peu. Ce sera pas quand t'auras cinquante ans que tu vas te
mettre à vivre. Profites-en.
Son fils ne
répondit rien. Il se contenta de quitter la cuisine. Dès son retour dans la
chambre double qu'il n'avait plus à partager avec son frère Gilles depuis le
mariage de ce dernier, il poussa son fauteuil près de la fenêtre pour
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profiter du
moindre souffle de fraîcheur. Il prit sur son bureau les deux gros
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