La fuite du temps
l'été tranquille avant de venir nous sacrer
dehors.
— Ça a tout l'air
que non. Le pire, c'est qu'on peut rien y faire, ajouta la grosse dame en
s'épongeant le front avec un large mouchoir qu'elle venait de tirer de la poche
de son tablier.
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— Qu'est-ce que
vous avez l'intention de faire, vous? lui demanda Laurette.
— Je le sais pas
trop. On en a parlé hier soir. Mon mari pense qu'on devrait attendre qu'ils se
mettent à démolir les maisons de notre rue avant de commencer à s'énerver.
D'après lui, on
finira toujours par trouver un logement quelque part dans le coin à un prix
raisonnable.
— Au fond, il a
peut-être raison, reconnut Laurette cherchant de toute évidence à se rassurer.
Ça sert pas à grand-chose de poigner les nerfs avant qu'ils commencent à tout
jeter à terre.
Il n'en resta pas
moins qu'elle passa une journée très pénible à se demander ce qu'il convenait
de faire. Fallait-il se mettre tout de suite à la recherche d'un autre
appartement ou attendre, comme les Beaulieu s'apprêtaient à le faire? Mis au
courant des rumeurs qui circulaient dans le quartier, Gérard, toujours tenté
par la solution la plus facile, décida d'imiter les voisins.
Une semaine plus
tard, le père de famille venait de traverser la rue Notre-Dame après une
journée de travail dans le port quand un bref coup de klaxon le fit sursauter.
Il tourna la tête
et aperçut la Toyota orangée de Gilles qui vint s'arrêter à sa hauteur.
— Montez-vous,
monsieur Morin? lui demanda Florence avec un large sourire. On s'en va chez
vous.
— Certain,
répondit-il en ouvrant la portière arrière de la petite voiture.
— Qu'est-ce qui
arrive à votre Chevrolet, p'pa? lui demanda Gilles.
— Elle est au
garage. Je suis obligé de faire changer le radiateur. Il coule. Je commence à
m'apercevoir que ça
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coûte cher en
maudit, une bagnole. Et vous autres, depuis quand vous êtes descendus du Nord?
— Ça fait une heure, monsieur Morin, répondit sa bru.
Quand on a vu
qu'ils annonçaient du mauvais temps pour les. deux ou trois prochains jours, on
a décidé de revenir en ville.
— Ça va faire
plaisir à tout le monde de vous revoir.
Laurette venait
de finir de laver le linoléum aux dessins à demi effacés de la cuisine et
fumait une cigarette en attendant que le plancher soit sec quand Gérard entra
dans l'appartement, suivi par le jeune couple.
— Laurette!
— Je suis en
arrière, répondit-elle.
— Je t'amène de
la visite, dit-il en refermant la porte.
— Qui ça? — Les
nouveaux mariés.
— Je suis poignée
sur le balcon parce que je viens de laver mon plancher de cuisine, dit
Laurette. Attendez, j'entre pareil.
— Non. Bougez
pas, madame Morin, lui suggéra sa jeune bru. On va aller vous rejoindre par en
arrière. On n'est pas pour marcher sur votre plancher frais lavé.
Quelques instants
plus tard, Laurette vit son mari, son fils et sa bru entrer dans la cour
arrière. Elle offrit une chaise à Florence et fit un effort méritoire pour se
montrer aimable envers ce nouveau membre de la famille Morin.
— Vous en avez du
mérite de faire du ménage par une chaleur collante pareille, madame Morin, dit
Florence en s'assoyant sur le balcon à ses côtés. Il fait tellement chaud et
humide que, même les vitres baissées, on avait de la misère à respirer en
revenant du Nord.
— Il faut ben se
nettoyer de temps en temps et pas laisser la maison s'encrasser, même quand
c'est l'été...
Puis, vous
autres, vous avez ben dû vous faire manger sans
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bon sens par
toutes les bibittes de la Création pendant que vous étiez là-bas? — C'était pas
si pire que ça, m'man, la rassura Gilles.
Avec de
l'insecticide, on pouvait travailler sur le terrain durant le jour...
— Mais le soir,
on avait intérêt à pas traîner en dehors de la tente, compléta Florence. Je
vous dis qu'il faut vouloir avoir quelque chose dans le Nord pour endurer ça.
— Vous allez
rester à souper avec nous autres, proposa Laurette sans grand entrain.
— On aurait bien
aimé rester, m'man, mais on n'est pas encore passés à l'appartement qui doit
avoir besoin d'être aéré si on veut pouvoir dormir la nuit prochaine. Ça doit
ressembler à un four avec toutes les fenêtres fermées.
— En plus, madame
Morin, ce serait pas raisonnable d'aller vous mettre au poêle quand
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