La fuite du temps
son oncle allaient bien «en faire une
jaunisse» quand ils apprendraient que leur fille demeurait avec un prêtre
défroqué.
Pendant un bref
instant, elle se demanda même si ce scandale n'allait pas éclipser celui de sa
grossesse. Par une étrange coïncidence, elle était allée à son rendez-vous chez
le docteur Leduc le jeudi précédent, soit le jour même où sa cousine
emménageait dans son nouvel appartement.
Selon le médecin,
sa grossesse se déroulait bien et tout semblait normal. Pour sa part, elle
était un peu soulagée.
que ses nausées
matinales se fassent un peu plus rares.
250
Depuis quelque
temps, elle se demandait si elle allait parvenir à amasser suffisamment
d'argent pour aller vivre, elle aussi, dans un petit appartement... à temps
avant que son état soit visible. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle
ne voulait pas s'acheter de robe neuve pour les noces de son frère.
Malheureusement, elle n'avait pu éviter cette dépense imprévue, ce qui allait
encore repousser son départ de l'appartement familial.
Depuis qu'elle
avait constaté avoir engraissé, elle surveillait maintenant plusieurs fois par
jour son tour de taille pour s'assurer que cela ne se voyait pas. Cependant,
elle était assez lucide pour comprendre qu'elle ne pourrait pas cacher son état
indéfiniment. A cette seule pensée, elle avait des sueurs froides.
— En tout cas, on
vient d'en perdre un autre, déclara Laurette d'une voix attristée en se mettant
en devoir de dresser la table.
— Tu vas pas te
mettre à pleurer comme la mère de Florence, se moqua gentiment son mari.
— Non.
Inquiète-toi pas pour ça, le rassura-t-elle. Mais les voir partir les uns après
les autres, ça me donne un coup de vieux.
— Qu'est-ce que
tu veux? On rajeunit pas. Regarde notre bébé, ajouta-t-il en lui montrant
Carole en train de sortir les assiettes pour les déposer sur la table. Elle a
déjà vingt-cinq ans.
— Qu'est-ce qu'on
va faire de la chambre de Gilles? demanda Laurette, comme si elle n'avait pas
entendu la remarque de Gérard.
— A moins que tu
veuilles en faire un salon, moi, je la laisserais comme elle est là. Elle
pourra toujours servir aux petits quand ils viendront coucher à la maison.
Elle accepta
cette solution facile sans protester. Un salon dans une chambre double n'était
absolument pas
251
pratique. Comment
regarder la télévision le soir dans une pièce qui n'était séparée de la chambre
voisine que par un rideau? Le lendemain avant-midi, comme tous les dimanches,
Carole accompagna ses parents à la grand-messe. L'impression de fraîcheur
ressentie en entrant dans le temple disparut rapidement avec l'arrivée des fidèles.
Même si les portes étaient maintenues ouvertes en cette période de canicule, la
chaleur était si élevée que le curé Perreault se crut même obligé d'abréger son
homélie.
À la fin de son
sermon, le prêtre annonça que son vicaire, l'abbé Serge Vermette, avait été
appelé à un autre ministère et qu'il serait remplacé, dès la semaine suivante,
par l'abbé Etienne Lanctôt.
Carole réprima
difficilement un petit sourire moqueur en entendant cette annonce. «Un autre
ministère! Drôle de façon pour dire que le vicaire défroqué...»
— Pourquoi ils
l'ont envoyé ailleurs? chuchota Laurette à son mari. Moi, je l'aimais ben ce
petit prêtre-là. Il était pas fouineux comme le curé.
Gérard haussa les
épaules en signe d'indifférence.
Chapitre 11
L'orage La semaine
suivante était à peine commencée que Laurette vit Rose Beaulieu, sa voisine,
entreprendre la descente difficile de l'étroit escalier à l'arrière pour venir
lui parler. Pour une dame au poids aussi important, l'exercice était loin
d'être facile.
— Avez-vous
appris la nouvelle, madame Morin? lui demanda la voisine, à bout de souffle,
alors qu'elle n'était pas encore rendue au pied de l'escalier.
— Qu'est-ce qui
se passe? — On raconte partout que c'est à la fin du mois qu'ils vont commencer
à démolir les maisons.
— Arrêtez donc,
vous! s'exclama Laurette, stupéfaite.
Le bonhomme
Tremblay est venu chercher l'argent du loyer, la semaine passée, et il a rien
dit.
— Il paraît que
les boss de la Dominion Oilcloth ont
décidé ça
avant-hier.
— Ah ben, maudit
verrat. C'est le boutte! s'écria Laurette. Je pensais ben qu'ils nous
laisseraient au moins passer
Weitere Kostenlose Bücher