La gigue du pendu
George Kevill.
J’ai tendu l’oreille pour essayer de deviner qui parlait. J’ai reconnu l’enfant et le Grand Méchant. Il y avait un autre homme. Peut-être deux. J’ai retenu mon souffle, fait signe à Néron de rester tranquille, et j’ai écouté les mouvements et bruits de pas venant de l’intérieur. Une voix d’homme inconnue, douce et musicale, s’exprimait, mais je ne saisissais que des bribes.
« … veux-tu t’asseoir ici, mon enfant… oui, près de moi… c’est beaucoup mieux ainsi… boire ceci ?…. » Rire. « Oui, cela brûle les lèvres… si jolie bouche… très bien… enlève ce petit manteau… oui, et ta robe aussi… je vais t’aider… ne te débats pas ainsi, mon enfant… viens t’asseoir là, sur mes genoux… »
Néron était couché à mes pieds dans une position peu confortable. Il ne bougerait pas tant que je ne lui en donnerais pas l’ordre. Or, si nous remuions, on nous entendrait. Il n’y avait aucune possibilité de s’extirper de ce réduit sans faire de bruit.
Aussi, j’ai attendu.
En écoutant.
Un certain fracas régnait dans l’étable. Le brouhaha de tous les jours. Des meubles qu’on déplace, peut-être. Quelqu’un qui marche.
« Mets la machine là. » C’était le Gros Lard. Sa voix était reconnaissable entre mille. « Oui, ce sera très bien. »
Quelqu’un a grommelé et les voix sont soudain devenues beaucoup plus audibles.
« C’est bien. Tout est prêt ? »
Silence.
« Commence-t-elle à perdre conscience, monsieur ? »
Réponse inintelligible.
Silence.
Gémissement d’enfant.
Puis quelques mots épars :
« … délicieuse… petit oiseau… une souris…
— Bien, très bien, a répondu le Grand Méchant. Mais… ne vous attardez pas trop, my Lord … la pièce sera bientôt terminée… des gens dans la cour. »
Échanges à mi-voix, rires, bruits de verres.
Il y avait des interstices dans le mur, là où les planches étaient pourries. J’ai enfoncé un doigt pour essayer d’en agrandir un, puis j’y ai appliqué un œil. Je distinguais le bord d’une chaise rouge aux pieds torsadés. Le pantalon et les bottes d’un homme. La cuisse nue et le soulier minuscule d’une fillette. La main de l’homme sur la petite jambe pâle. J’imagine qu’elle était assise sur ses genoux. Le bas du manteau du Gros Lard passait devant mes yeux en oscillant, la main caressait l’enfant, et puis soudain, plus rien. J’ai cherché à gauche, à droite, un autre interstice, mais quelqu’un ou quelque chose me bouchait la vue.
« Aïe ! Oh ! Monsieur, s’il vous plaît. Vous me faites mal… »
J’ai retenu mon souffle et à nouveau essayé d’y voir quelque chose.
Silence, puis ces terribles cris d’enfant.
« Arrêtez ! Non, j’aime pas ça ! »
D’affreux glapissements de peur.
« Voulez-vous que je la bâillonne ? a demandé le Grand Méchant.
— Non, non ! Laissez-la. J’aime à l’entendre ainsi. »
L’autre respirait fort, en proie à l’excitation.
« Mais si elle fait trop de bruit…
— J’ai mal ! » a hurlé la fillette.
Mouvements précipités.
« Fais ce qu’on te dit, et tu n’auras pas mal. À présent allonge-toi et reste tranquille…
— Non ! Non ! »
Bruit de lutte.
« Il faut que vous la teniez pour qu’elle arrête de bouger. Sinon, la photographie sera ratée. »
Silence. Puis une petite voix implorante.
« Monsieur, je vous en supplie ! Oh non ! Ça fait mal ! Je veux ma maman ! »
Éclat de rire, la voix haut perchée du Gros Lard.
« Maman ! Maman ! Elle veut sa maman !
— Je vous en prie, monsieur ! Non, pas ça !
— Tu vas la boucler, petite pute !
— Oh ! Oh !!! Monsieur, monsieur, je vous en supplie ! Ça fait mal ! Vous me faites mal ! Laissez-moi partir ! »
J’ai plaqué mes mains sur mes oreilles pour ne pas entendre cette horreur, en vain, car une voix s’est mise à rugir :
« La garce ! Elle m’a griffé ! »
Puis un bruit de gifle – une, deux, trois, et le vagissement terrifié de l’enfant.
« Tenez-la, par saint Georges ! Maintenez-lui les jambes ! Ah, tu es à moi, maintenant ! Je te tiens ! »
Et ainsi de suite. J’ai cru que j’allais devenir fou : la fillette qui hurlait, suppliait qu’on la laisse partir, promettant d’être sage, et le rire du Grand Méchant, s’élevant telle une musique de cauchemar par-dessus tout le reste.
Soudain, le silence
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