La gigue du pendu

soit fait raccourcir.
    Je songeais à cela quand le tour suivant a commencé. C’était une petite fille vêtue d’une jupe très courte, arborant un sourire que seuls les coups de sa mère avaient pu lui arracher. Elle dansait avec lourdeur. Petite, les yeux et les cheveux foncés, elle était affublée de ces rubans et perles dont les mères imaginent qu’ils rendent leur enfant plus belle. Le public lui prêtait à peine attention et s’est aussitôt lassé. Je l’ai alors reconnue, elle aussi. C’était la petite que le maître de ballet avait rejetée avec une telle cruauté à l’audition du Pavilion et, par conséquent, j’imagine, elle était à présent forcée de travailler là pour rapporter quelques pence à sa famille. Encore un enfant soumis à une vie de dur labeur pour une piètre récompense. Je me sentais désolé pour elle, mais aussi pour Barney Kevill – puisque c’était son nom –, seul au monde, et se donnant ici en spectacle. Il me semblait que notre dernière rencontre remontait à des semaines, quand, de la fenêtre d’un fiacre, mon œil à demi fermé l’avait aperçu sur les marches de l’Aquarium.
    Assez. Les champs de Strong m’appelaient.
    Je me suis frayé un chemin à travers la foule et j’ai suivi un courant d’air froid qui semblait m’indiquer la sortie. Or j’ai débouché non pas dans la rue mais dans la cour de derrière. Après l’obscurité enfumée du théâtre, il a fallu un moment pour que mes yeux s’habituent à la clarté du jour. C’était une petite cour pavée, bordée de murs, avec au fond un bâtiment qui avait peut-être été naguère une étable. L’arrière-cour des magasins est toujours en bazar, mais si le propriétaire ou le locataire des lieux est assez accommodant, on peut lui louer les bâtiments annexes. D’un côté, derrière le mur, par-delà la barrière, se trouvaient les remises décrépites de Pilgrim. De l’autre, dans la cour d’une boutique qui vendait de tout, des choux jusqu’aux chandelles, il y avait un entrepôt qui servait d’abri à un couple de cochons et à une famille de quatre personnes.
    Pas le moindre signe de l’imposteur, ni des prétendus Brutus et Néron : il n’y avait là qu’un groupe de comédiens en costume assis sur des tonneaux et des seaux renversés, attendant l’heure d’aller jouer Richard III . Ils n’ont prêté aucune attention ni à moi ni à Barney qui, son sac sur l’épaule, est arrivé en se frottant les yeux et en jetant des regards prudents alentour.
    « Alors vous v’là. Ils vous ont pas raté, les salauds. »
    Il ne semblait pas surpris de me voir. En vérité, son petit visage rond était même dénué d’expression. Il a désigné l’étable du menton.
    « Je l’ai trouvée. C’est là. C’était la boutique de mon père. Studio et magasin de photographie Kevill. J’ai réfléchi après les questions que m’a posées Mr Lovegrove. J’ai demandé à la Princesse si elle savait où c’était. D’après elle, c’était dans les parages. Je m’attendais à vous voir dans le coin. C’est à cause du type qui se fait passer pour vous ? »
    Il n’a pas attendu la réponse pour continuer.
    « J’ai vu le Grand Méchant, aussi, mais il m’a pas encore repéré. Faut que je fasse gaffe. Mais c’est sûr, je vais le crever. »
    Un gigantesque éclat de rire a fusé du théâtre, comme un coup de fusil dans le calme de la cour.
    « Ça a l’air de rien, a repris le garçon en désignant l’ancienne étable, mais mon père l’a aménagée comme une boutique, à l’intérieur. Y a des vraies fenêtres sur le toit, vous savez, avec des volets, et une grosse machine à photographier recouverte d’un tissu. Elle est toujours là. »
    Le bâtiment était de taille, et il avait dû avoir fière allure jadis. Un drapeau flottait sur le toit, et sur la porte subsistaient des morceaux d’affiches : « Photographies de qualité », « Les derniers styles à la mode ». À présent, c’était délabré, les murs de planches pourrissantes étaient criblés de trous. J’étais très étonné que la machine à faire des photograhies soit encore là. Dans ce quartier, elle aurait dû disparaître en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, aussi, malgré ma hâte à quitter cette ville pour rejoindre les champs de choux de Titus Strong, la curiosité m’a piqué, et j’ai eu envie de voir tout ça par moi-même.
    Mais Barney m’a saisi par le