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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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ceux qui me bousculaient, m’invectivaient. Ainsi emmuré dans mon silence, n’ayant en tête que le bruit de mes propres pas tandis que je marchais, tête baissée, évitant les regards, j’étais à nouveau un petit garçon. Si la fortune ne m’avait pas souri, mon cadavre aurait lui aussi pu se retrouver étendu sur la table d’une taverne, tandis que des inconnus bien intentionnés mais indifférents m’examinaient en se demandant qui j’étais et si quelqu’un en ce bas monde se préoccupait de moi. Car si ma mère a ressenti pour moi de l’amour ou de l’inquiétude, elle ne me l’a jamais dit et rarement montré. C’était une gitane, qui n’a jamais décidé de rien et maîtrisait juste les rudiments de la langue anglaise ; elle passait ses journées à suivre mon père, l’attendant devant les tavernes, les boutiques, les cabarets et les pubs. Elle l’attendait même lorsqu’il s’occupait des fourneaux, dont il devait entretenir le feu. Il suivait les flammes, les faisait rugir ou chuchoter ; elle le suivait, pour être sûre de mettre la main sur une partie de son argent avant qu’il aille le boire ; et moi je la suivais, elle. Notre seul lien, semble-t-il, était son ombre. Enfant, j’étais toujours dans l’ombre de quelqu’un. Celle de ma mère. De mon père. Jamais je n’étais dans la lumière, où j’aurais pu voir la route qui se déroulait devant moi en me demandant vers où elle me mènerait. Non, j’étais toujours dans le sillage des jupons en loques de ma mère, ou des mauvaises bottes de mon père. Toujours la tête baissée, attendant que les jupons ou les bottes s’arrêtent. Et prêt à battre en retraite lorsque ces bottes se retournaient contre moi.
    Et puis un jour, ma mère ne s’est pas levée. Pendant près d’une semaine, nous avions dormi contre le muret d’une briqueterie. Les fours étaient tout proches, et leur chaleur constante se diffusait jusque dans ce mur, dans la terre. C’était un endroit confortable, même si c’était un peu dur. J’étais un petit gars de six ans, tout au plus, et je crois que j’en paraissais moins. Quand je me suis réveillé, donc, j’ai poussé ma mère, mais elle n’a pas bronché, alors j’ai pensé qu’il était trop tôt pour se lever et je me suis blotti contre elle comme un ver, en attendant. J’ai vu le soleil monter dans le ciel. Tout était très calme, seules les cloches de l’église sonnaient. Quand l’attente m’est devenue insupportable parce que j’avais trop envie de faire pipi, que mon estomac criait famine, ma mère a eu beau demeurer imobile, assoupie comme je le croyais, je me suis levé malgré tout pour faire quelques pas. C’était une sensation étrange car, comme je l’ai dit, j’avais l’habitude de suivre les autres, et soudain le monde m’apparaissait vaste, immense, majestueux. J’ai exploré la rue et un petit terrain vague, sans jamais perdre ma mère des yeux. Enfin, je me suis enhardi, je me suis introduit dans des jardins, j’ai regardé par les carreaux des maisons, j’ai observé des oiseaux qui s’ébattaient dans des flaques d’eau. Jamais auparavant je n’avais goûté au simple luxe de contempler.
    Et puis on m’a surpris en train de jeter un coup d’œil par une fenêtre à une famille qui dînait, et l’on m’a chassé au cri de « Vilain garnement ! », et je suis revenu, terrifié, tout tremblant, jusqu’à notre mur, près du corps immobile de ma mère. Je suis resté là, tandis qu’elle devenait de plus en plus froide et raide. J’y ai passé une nuit, jusqu’à ce que la faim me force à me relever, de bon matin, pour essayer de trouver quelque chose à boire et à manger. Seulement à mon retour, une foule s’était rassemblée autour d’elle. Je me suis caché et j’ai vu des gens l’envelopper dans une couverture puis l’emporter. J’aurais voulu crier, mais je me suis retenu et, à la place, je les ai suivis, jusqu’à une petite taverne, où je crois qu’on l’a déposée dans l’étable.
    J’étais certain que mon père saurait quoi faire, mais je n’ai pas réussi à le trouver. Je savais que nous l’attendions dans cet endroit tiède car il travaillait aux fourneaux tout proches, aussi je suis revenu auprès du mur et j’y suis resté nuit et jour, allant même une fois jusqu’à regarder de l’autre côté de la barrière, mais il ne s’est pas montré. Une semaine a passé. On a enterré ma mère, et j’ai

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