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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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suivi de loin, puis je me suis caché derrière une pierre tombale, et j’ai vu qu’on la mettait en terre, enveloppée d’un linceul, avec cinq autres personnes. Une sépulture de pauvre, mais il n’y avait rien de mal à ça. Partir pour l’éternité avec de la compagnie.
    Chaque soir, après avoir traîné, je retournais à la briqueterie, en espérant toujours y trouver mon père, et les gens qui vivaient dans les parages ou travaillaient là se sont habitués à moi, car plus personne ne me criait « Vilain garnement ! ». Une fois, on a même déposé une couverture sur le muret, mais je ne l’ai pas prise tout de suite, au cas où elle appartiendrait à quelqu’un. Au bout de quelques jours, j’ai compris qu’elle m’était destinée. De petits paquets de nourriture sont alors apparus sur le mur, et même une paire de bottes. Je n’ai jamais su qui m’apportait tous ces présents, mais j’ai toujours éprouvé de la reconnaissance envers ces gens-là, et j’espère que la vie a été aussi bonne pour eux qu’ils l’ont été avec moi.
    Un matin, en revenant à mon abri de fortune, j’ai constaté du changement. Le portail de la briqueterie était ouvert, et la cour était pleine de monde, regroupé autour d’un fourneau. Curieux, je suis entré, puis quelqu’un s’est retourné, m’a vu et a poussé son voisin du coude. Ils se sont approchés, mais je me méfiais toujours des étrangers et j’étais sur mes gardes.
    « Eh ben, mon p’tit, où qu’il est ton père, tu crois ? »
    C’était un vieil homme, édenté, à la bouche très rouge.
    « Au travail », j’ai répondu en m’étonnant du son de ma propre voix, car il y avait longtemps que je ne l’avais pas entendue. « Au fourneau. »
    Ils se sont regardés, le vieux et son voisin, un ouvrier bien mis, avec un chapeau rond et un mouchoir bleu.
    « Au fourneau, que tu dis ? Et quand c’est que tu l’as vu venir par ici ?
    — Je l’ai pas vu, mais c’est là qu’il travaille. Il s’appelle Mr Frederick Chapman, si vous voulez savoir. »
    Ils ont hoché la tête d’un air grave, sont revenus vers le groupe pour consulter un homme au pardessus noir, qui s’est retourné vers moi, puis vers le fourneau. Je me suis demandé si mon père avait des ennuis. Ma mère l’avait toujours « sorti du pétrin » (une de ses expressions), ce qui signifiait en général qu’il s’était écroulé, ivre mort, et qu’il se mettait en danger lui-même. Ou bien qu’il s’était battu. Puisque ma mère n’était plus là, il était désormais de mon devoir de le « sortir du pétrin ». Aussi, quand personne ne regardait, je me suis accroupi, j’ai fait le tour du mur – j’étais doué pour suivre ! – et je suis arrivé derrière les fourneaux. J’ai grimpé le mur avec difficulté en m’écorchant le genou, puis je suis passé par-dessus et j’ai atterri, comme un crabe poussiéreux, dans la terre brûlée. Il y avait là quatre fourneaux, mais je savais où travaillait mon père, car il me l’avait montré. C’était le plus petit, et pour cette raison, celui qui servait le moins. Il m’avait expliqué qu’on l’avait construit exprès pour fabriquer une série de carreaux particuliers – destinés à la salle de bains de la reine, dans l’un de ses majestueux palais, m’avait-il dit –, aussi l’appelait-on le « Four royal », et il n’était utilisé que pour des cuissons bien spécifiques. Toute sa vie, mon père s’était vanté d’avoir des relations, et peut-être au bout du compte était-ce vrai, puisqu’il s’était faufilé parmi les carreaux de la reine, et n’avait été découvert qu’au bout d’une semaine, quand on avait rouvert le fourneau refroidi. Voilà l’histoire que j’ai apprise des années plus tard. Mais, enfant, tout ce que j’en savais, c’est ce que j’avais vu.
    Un conduit latéral béant laissait échapper les dernières bouffées tièdes, aussi ai-je pénétré sans mal à l’intérieur en rampant. Il n’y avait presque plus de carreaux, sinon je n’aurais pas pu entrer, rien que quelques tessons, et dans la lumière diffuse et poudreuse de la porte ouverte, j’ai aperçu un sac, laissé là pour pouvoir les ranger dedans, ai-je pensé. J’ai regardé autour de moi, j’ai vu des briques cuites, des volutes de poussière rouge, et tout en respirant l’air chaud et dense, je me suis demandé où était passé mon père, ce qu’il avait

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