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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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que je connaisse ! Viens donc chez Garraway , on va fêter ça ! »
    Mais avant qu’aucun autre son passe mes lèvres, je prononcerais le nom de mes deux compagnons, mon Brutus et mon Néron, car jamais ils n’ont entendu ma voix. Je les appellerais en utilisant leur nom, je leur dirais que ce sont de bons chiens, et je leur enseignerais les mots « Au pied ! » et « Rapporte ! ».
    Dans mes rêves seulement je possède une voix, et alors, je peux gueuler deux fois plus fort que Will Lovegrove sur scène ! Souvent, je me réveille la bouche ouverte, et j’ai l’impression que les mots vont surgir de ma bouche. J’attends, j’écoute, mais rien ne sort. Je me demande à quoi ressemblerait ma voix aujourd’hui, car en effet je n’ai jamais entendu ma voix d’homme, à part tel un écho, dans ma tête. Les derniers mots que j’ai prononcés, que nul n’a entendus, s’adressaient à mon père, qui était déjà mort.
    « Papa ? je lui ai dit. Papa ? »
    Ainsi fut mon enfance, volée. Jamais je n’ai chanté de comptine, joué aux jeux des gamins, hurlé et fait le fou dans les rues. Jamais je n’ai interprété de chant de Noël, d’hymne de Pâques ou de cantique, pourtant j’en connais chaque parole, chaque mélodie. Et depuis ce jour, je n’ai jamais appelé mon père, ni ma mère.
    Cette enfance ravagée, je la revis dans mes rêves, et dans ces endroits sombres peuplés par mes démons. Ma petite vie, à l’époque où je mendiais, où j’étais un gosse des rues, où j’ai rencontré gentillesse et cruauté. Les enfants peuvent se fabriquer un foyer n’importe où, même dans le ruisseau. S’ils n’ont nulle part où aller, ils restent accroupis durant des heures à regarder s’écouler les eaux usées, faisant flotter n’importe quelle saleté qu’ils transforment en bateau. Oui, de ces égouts, ils feront leur foyer plutôt que de lever les yeux. Car quand l’enfant relève la tête, alors il découvre le monde tel qu’il est : les bottes qui frappent, les poings qui cognent, la bouche qui crache et rugit.
    Qui prendra soin de cet enfant ? Qui l’aidera ?

14
    Silence
    Quand je suis arrivé, il y avait un véritable attroupement dans Portland Road, concentré devant le numéro vingt-deux.
    D’abord je n’y ai guère prêté attention car j’étais plein de bonnes résolutions. En marchant, je m’étais métamorphosé en un nouveau Bob Chapman, homme de volonté et d’action. À partir d’aujourd’hui, Bob Chapman sortait de l’ombre pour prendre sa place au soleil.
    J’irais chercher Will et Trim. Ensemble nous verrions le juge. Je lui expliquerais tout.
    Voilà ce que j’avais décidé.
    C’est alors que mon attention s’est tournée vers Portland Road.
    La porte d’entrée du vingt-deux était grande ouverte, chose fort inhabituelle. La fenêtre du salon, au rez-de-chaussée, c’est-à-dire les appartements privés de Mrs Twentyfold, était elle aussi grande ouverte, et ses beaux rideaux de dentelle volaient au-dehors, traînant sur le rebord crasseux de la fenêtre. J’hésitais entre entrer en hâte ou fuir au plus vite, mais la décision a été prise par Miss Slyte, une de nos voisines, grosse femme boulotte qui cousait des bonnets et gardait des chats ; lorsqu’elle m’a aperçu en rentrant de chez le marchand de gin, elle a fondu sur moi à une vitesse alarmante, flageolant de toute part.
    « Ah, vous voilà, vous ! Espèce de bâton merdeux ! s’est-elle égosillée avec son fort accent irlandais. ‘Gardez donc qu’est-ce que vous avez fait à cette brave femme avec vos manières de soudard et vos mauvaises fréquentations ! » Là-dessus, elle m’a frappé en pleine poitrine, tout en me fichant sous le nez sa figure rougeaude lourdement parfumée au gin. « ‘Gardez moi donc ce bazar ! » s’est-elle écriée en me saisissant par le coude et en me traînant jusqu’à la demeure, comme si j’étais un criminel que tout le monde recherchait et qu’elle m’avait enfin attrapé !
    « Le v’là, a-t-elle lancé d’un air triomphal, ce chien, avec ses bâtards qui lui collent au train comme des coupe-jarrets en maraude ! »
    Ainsi avons-nous été introduits, Brutus, Néron et moi, dans le salon de Mrs Twentyfold, pièce si bien gardée que je n’y avais jamais fourré le nez. Elle était petite, et d’autant plus rétrécie par la quantité de gens présents. En effet, toutes sortes d’inconnus se trouvaient là,

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