La Gloire Et Les Périls
la
démentie [41] la plus cinglante aux
caquets de Cour qui, prenant leurs désirs pour la réalité, annonçaient, mois
après mois, que, le roi haïssant le cardinal, sa disgrâce était quasi
consommée…
*
* *
Un autre courrier, sévèrement contrôlé des deux parts,
continuait de passer du camp royal à La Rochelle et de La Rochelle au camp. Je
fus néanmoins fort surpris à mon retour à Brézolles quand Madame de Bazimont,
lors de la tisane du soir, me remit une lettre qui provenait du « nid de
guêpes huguenotes ». Les censeurs royaux l’avaient décachetée, lue et
refermée par un cachet de cire fleurdelisée qui signalait qu’on la pouvait
remettre sans péril à son destinataire.
Je demandai à Madame de Bazimont la permission de prendre
connaissance de la lettre-missive et tirant quelque peu à l’écart, je la lus,
puis la relus avec une stupéfaction qui croissait à chaque ligne. La voici,
telle qu’elle fut écrite, sans rien ajouter ni omettre.
À Monsieur le comte
d’Orbieu
Château de Brézolles
Saint-Jean-des-Sables
« Monsieur
le Comte,
« Lors de votre visite à La
Rochelle à ma chère protectrice la duchesse de Rohan, il n’est pas que vous
n’ayez aperçu que j’ai envisagé avec quelque faveur votre aimable écuyer,
Monsieur Nicolas de Clérac. C’est à lui que je m’adresse par votre gracieuse entremise,
du moins si vous voulez bien consentir à me l’accorder.
« La situation céans empire
de jour en jour : Madame la duchesse de Rohan s’est résignée il y a une
semaine à sacrifier deux des chevaux de sa carrosse pour fournir des viandes à
son domestique et à elle-même. Qui pis est, avant-hier, son cuisinier lui-même
s’est à la parfin enfui de La Rochelle avec l’intention de passer dans le camp
royal. À son département, il a laissé un mot, disant que s’il était pris, il
préférait être pendu par les royaux que de mourir de faim à La Rochelle.
« En cette triste extrémité
où moi-même je me trouve, et comme de toute manière Monsieur de Clérac a empli
toutes mes pensées dès que j’ai jeté l’œil sur lui, j’ai fait le rêve que
Monsieur de Clérac tâchait de me retirer de ma misère présente en me proposant
de l’épouser. J’ai osé en toucher un mot à Madame la duchesse de Rohan,
laquelle a été assez bonne pour me dire qu’étant comme je suis catholique, il
lui paraissait peu équitable que je sois soumise aux souffrances inouïes que
les protestants en ce siège endurent pour leur foi. Elle voulut bien ajouter
que si Monsieur de Clérac, s’adressant à sa personne, lui demandait par écrit
ma main, elle agirait en lieu et place de mes père et mère et la lui
accorderait, puisque tel était aussi mon désir. Elle m’a ensuite promis de
tâcher de persuader le corps de ville de me permettre de saillir des murs de La
Rochelle pour peu que les royaux, de leur côté, consentent à me recevoir.
« Peux-je ajouter ici,
Monsieur le Comte, qu’étant une cousine éloignée de la duchesse de Rohan, je ne
suis pas pour autant une cousine pauvre. Depuis la mort de mes parents dont je
suis l’unique héritière, je possède en toute propriété une rente annuelle de
trente mille livres. Je ne serai donc pas à charge à Monsieur de Clérac, pas
plus que je ne désire faire obstacle au noble métier de son choix.
« Je souhaite de tout cœur
que cette démarche naïve à laquelle me portent et mes sentiments à l’égard de
Monsieur de Clérac et mon prédicament présent ne vous seront pas à scandale et
je vous prie de me croire, Monsieur le Comte, votre humble et dévouée servante.
Henriette de
Foliange. »
Je rangeai la lettre-missive de Mademoiselle de Foliange
dans la manche de mon pourpoint et revenant à nos tisanes du soir, me rassis et
tombai dans un grand pensement qui n’échappa point à Madame de Bazimont et
aiguisa à ce point sa curiosité qu’elle inclina quelque peu à oublier ses
bonnes manières. Cependant, elle hésitait encore. Mais mon silence lui devenant
quasi insufférable, au fur et à mesure qu’elle voyait que le niveau de la
tisane, en baissant dans nos tasses, rapprochait le moment de se donner la
bonne nuit, elle franchit à la fin son Rubicon et elle dit non sans quelque
tremblement dans sa voix :
— Monsieur le Comte, je vous vois tout songeux.
Serait-ce donc que vous auriez reçu de mauvaises nouvelles ?
À quoi je lui souris de la façon la plus
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