La Gloire Et Les Périls
libre et les États du pape…
Louis eût pu ironiser sur le fait que Zorzi ait prêché pour
son saint italien plutôt que pour le saint français. Il préféra une réponse
roide et bien dans sa manière : « Comme les Anglais m’ont attaqué les
premiers, dit-il, je veux qu’ils soient les premiers à me demander la paix. Tel
est le devoir et telle est la justice. Je ne peux rien dire d’autre. »
Plaise à toi, après cette parenthèse, lecteur, de me
permettre de retourner sur le chemin d’Aytré à Surgères, lieu où était convenu
que celui qui partait devait faire ses adieux à celui qui demeurait. Des deux
côtés, il y avait dans cette séparation beaucoup de chagrin et d’appréhension,
le roi perdant son sage mentor et Richelieu perdant son puissant protecteur. Il
n’ignorait pas, comme il avait dit si bien, « les offices qu’on peut
rendre à la Cour aux absents ».
Le moment des adieux venu, le cardinal poussa le premier son
cheval vers celui du roi, et celui-ci lui tendant la main, les larmes aux yeux,
lui dit d’une voix entrecoupée qu’il partait l’esprit plus tranquille, le
sachant meshui bien en selle pour poursuivre le siège, sans avoir maille à
partir avec les maréchaux, lesquels savaient bien qu’à son retour, il leur en
cuirait, s’ils n’avaient pas obéi à ses ordres. Richelieu, de son côté, lui
assura qu’il lui ferait tenir tous les jours par un courrier les détails des
opérations du siège et ne modifierait ses plans, sauf en cas d’absolue urgence,
que si le roi, par retour, lui commandait une manœuvre contraire.
Le roi était en proie à un tel émeuvement que, sur les
derniers mots qu’il prononça, il retomba quasiment dans le bégaiement dont le
lecteur n’ignore pas qu’il avait eu tant de mal, en ses enfances, à se
corriger. Raison, sans doute, pour laquelle il écourta son entretien avec
Richelieu davantage qu’il n’eût voulu – ce qui ne laissa pas de le désoler
et désola encore plus le cardinal qui, après avoir baisé la main royale, se
retira, plus rapidement qu’il ne l’avait espéré, démonta, jeta les rênes à son
écuyer, pénétra dans sa carrosse, mais sans encore donner l’ordre à son cocher de
fouetter, car il était convenu que Monsieur de Guron et moi-même devions
retourner avec lui à Aytré.
Je me promettais beaucoup de mes adieux à Sa Majesté, mais
je fus fort déçu pour la raison que mon Accla, à ce moment, me fit mille
reculs, dérobades et autres simagrées, n’aimant pas le hongre sur lequel le roi
était monté. Tant est que j’eus les plus grandes difficultés à approcher Louis,
et ne pus même lui baiser la main, qu’il me tendait pourtant de toute la
longueur de son bras.
Monsieur de Guron eut plus de chance. Étant monté sur une
grosse maritorne qui n’avait même pas assez d’esprit pour maligner, il réussit
à la placer tête-bêche avec la monture du roi sans qu’elle bronchât le moindre.
Tant est que le roi, lui mettant la main sur l’épaule, put lui parler à loisir.
Louis, à cet instant, avait reconquis la capitainerie de son âme et ne bégayait
plus, bien que ses yeux fussent encore tout mouillés des larmes qu’il avait
versées.
Pendant ce temps, j’avais réussi à calmer mon Accla, mais
non à la décider à quitter les lieux, ce à quoi j’étais moi-même rebelute,
désirant fort entendre ce que le roi, qui était resté bouche cousue avec le
cardinal, et de force forcée avec moi, avait à dire à mon compagnon.
— Monsieur de Guron, dit Louis d’une voix sourde, mais
que j’ouïs fort bien, j’ai le cœur si serré que je ne puis parler du regret que
j’ai de quitter Monsieur le Cardinal. Dites-lui de ma part que, s’il veut que
je croie qu’il m’aime, de ménager sa personne, et de ne plus aller incessamment
aux lieux périlleux, comme il fait tous les jours. Qu’il considère, si je
l’avais perdu, à quel point seraient mes affaires !…
Là-dessus, après avoir tâché, sans grand succès, d’étouffer
un soupir, le roi poursuivit :
— Je sais combien de gens se sont employés pour empêcher
le cardinal de se charger d’un si pesant fardeau. Mais pour moi, je n’oublierai
jamais le service qu’il me rend de demeurer céans. Je sais bien que, si ce
n’eût été pour soutenir mes affaires, il ne l’aurait pas fait, parce qu’il
s’expose à mille travaux et à mille embûches pour me servir. Je le reverrai
bientôt et plus tôt
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