La Gloire Et Les Périls
même que je ne l’ai dit. J’aurai de grandes impatiences de
revenir… Dites-lui bien de ma part. Adieu.
Là-dessus, Louis tourna bride et, quelques pas plus loin, il
démonta, jeta les rênes à son écuyer, et sans un regard en arrière, il monta
dans sa carrosse, laquelle ne laissa pas de disparaître rapidement,
l’arrière-garde de son escorte montée le suivant au trot et le cachant bientôt
à ma vue.
Je tirai un peu à l’écart pour ne pas avaler la poussière
que soulevaient les chevaux des mousquetaires du roi, des gardes françaises et
des gardes suisses, mais il me fallut prendre patience une bonne demi-heure
avant que cessât ce défilé. Je rejoignis alors mon Nicolas, démontai, et lui passant
sans un mot les rênes d’Accla, je gagnai la carrosse du cardinal dont le valet
déplia vivement le marchepied, m’ouvrit la portière, le clouit derechef sur
moi, puis remonta vivement reprendre sa place à côté du cocher avec une telle
hâte qu’on eût cru qu’il craignait qu’on l’oubliât sur le chemin.
Richelieu, les yeux clos et le menton sur la poitrine, ne
sommeillait pas, comme peut-être il désirait le laisser croire à Monsieur de
Guron et à moi, car je voyais ses mains sur son giron se crisper l’une contre
l’autre et il ne pouvait tout à fait empêcher sa poitrine de se soulever quand
et quand pour laisser passer un soupir. Clos sur soi, sur ses pensées et sur
ses terribles appréhensions, il se sentait condamné à commander une grande
armée et des maréchaux escalabreux, sans être soutenu d’ores en avant par la
présence du roi.
J’ai déjà dit qu’il était à la fois le magister et le
sujet de Louis. Mais cette définition me paraîtrait incomplète, si je
n’ajoutais pas qu’il en était aussi en quelque mesure le père, tant était
évidente la sollicitude dont le plus âgé entourait le plus jeune et les
inquiétudes mortelles que sa santé lui donnait. Des gentilshommes qui étaient
le plus proches de l’un et de l’autre me parlaient d’amitié à ce sujet, mais, à
mon sentiment, il fallait aller plus loin et reconnaître qu’il y avait de l’un
à l’autre une tendresse qui n’était point si apparente, lorsqu’ils parlaient au
bec à bec, car la majesté du roi mettait alors un impérieux obstacle à tout
épanchement, mais qui devenait beaucoup plus visible quand, à leur grand dol,
ils étaient séparés l’un de l’autre. Ils se pouvaient alors parler par lettres,
en oubliant la différence écrasante des rangs.
Monsieur de Guron et moi, profitant que le cardinal gardait
les yeux clos, considérions son visage creusé et fatigué, en échangeant des
regards inquiets, car nous redoutions que la douleur de cette séparation,
s’ajoutant à son immense labeur et au climat tracasseux de l’Aunis, n’allât
altérer aussi sa santé.
Comme s’il eût senti nos yeux posés sur lui, Richelieu
déclouit tout soudain les siens, et émergeant avec peine des soucis dévorants
qu’il allait d’ores en avant affronter seul, il eut quelque mal à reconnaître
qu’il était là, dans cette carrosse, avec Guron et moi, tandis que le roi, son
maître et son protecteur, s’éloignait de lui à chaque tour de roue de la
carrosse royale.
Tout en entendant bien que l’écourtement de ses adieux avec
le roi était dû au retour de Louis à son bégaiement enfantin, Richelieu ne s’en
pouvait consoler et se ramentevant tout soudain qu’il avait vu ensuite Louis,
reprenant ses esprits, parler plus longuement à Monsieur de Guron, il se tourna
alors vers celui-ci et lui dit :
— Monsieur de Guron, vous êtes le seul à qui Sa Majesté
ait pu, à son départir, parler d’abondance. Pourriez-vous me répéter ses
propos, à tout le moins ceux qui ont pu me concerner ?
— Monsieur le Cardinal, dit Guron, j’attendais, pour ce
faire, que vous soyez sorti de votre méditation. Et je me fais une grande joie
de vous répéter ces paroles qui, en effet, vous concernent, car Votre Éminence
aura sans doute autant de plaisir à les ouïr que moi-même à vous les répéter.
Comme ma belle lectrice ne peut faillir de s’en aviser,
Monsieur de Guron avait plus de finesse dans l’esprit et d’élégance langagière
que sa corporelle enveloppe ne l’aurait laissé deviner. Il avait, en outre, la
remembrance fort bonne, car il répéta mot pour mot les propos du roi, lesquels
j’avais moi-même ouïs et que j’ai plus haut rapportés.
Je n’ai
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