La Gloire Et Les Périls
aucune peine à croire que ces paroles firent à
Richelieu l’effet merveilleux d’une fraîche rosée sur un front fiévreux. Il se
les fit répéter deux fois, demanda plusieurs fois à Monsieur de Guron s’il
n’oubliait rien, s’il ne se trompait pas, si c’étaient bien là les paroles
exactes du roi…
Comme Monsieur de Guron allait répondre, la carrosse tout
soudain s’arrêta et l’instant d’après, le postillon [40] , étant
descendu de son cheval, vint toquer à la vitre de notre porte et quand Monsieur
de Guron l’eut déclos, il dit au cardinal avec un air de confusion :
— Votre Éminence, avec votre permission, la roue avant
droite de la carrosse se trouve faire du tracas au cocher pour la crainte
qu’elle lui fait de se rompre. Plaise à vous, Votre Éminence, de nous permettre
de la tirer de là pour mettre en place une roue de rechange.
— Cela prendra-t-il du temps ? dit Richelieu.
— Une demi-heure, Votre Éminence.
— Nous faudra-t-il descendre de la carrosse ?
— Nenni, Votre Éminence. Nous avons des cales solides
comme roc et à moins que de danser la gigue dans la carrosse, elles sont pour
tenir bien dret tant qu’il y faudra.
— Faites donc ! dit Richelieu qui ne tutoyait ni
ne tabustait ses gens et ne sourit même pas à la pensée qu’il eût pu danser la
gigue dans sa carrosse.
Dès que le cocher, aidé par le postillon et le valet du
marchepied, se fut mis à l’ouvrage, Richelieu dit à Monsieur de Guron :
— Monsieur de Guron, vous trouverez derrière vous une
écritoire sur le rebord de votre banquette. Plaise à vous de vous en saisir
avec précaution, car l’encrier est plein. Et plaise à vous d’écrire le plus
exactement qu’il vous sera possible le message que Sa Majesté vous a prié de me
faire tenir.
Bien connaissais-je cette écritoire, car Charpentier et les
autres secrétaires du cardinal l’utilisaient souvent pour écrire sous sa dictée
des lettres-missives à tel ou tel, afin de ne pas perdre un temps précieux
pendant les arrêts quasi inévitables d’un long voyage en carrosse.
Quand Monsieur de Guron, ayant fini sa copie, la tendit au
cardinal, celui-ci se saisit délicatement de la feuille entre le pouce et
l’index, la lut, fit compliment à Monsieur de Guron de sa belle écriture,
éventa la feuille devant lui pour sécher l’encre plus vite, puis la relut
encore, les larmes lui venant aux yeux en son émeuvement, puis, pliant en
quatre la feuille, l’enfouit dans la poche intérieure de sa soutane.
— Monsieur de Guron, reprit-il après un moment, se
trouve-t-il d’autres feuilles de papier dans l’écritoire ?
— Il y en a deux autres, Monseigneur.
— Une seule suffira, si vous voulez bien, Monsieur de
Guron, consentir à écrire une deuxième fois pour moi, mais cette fois sous ma
dictée. C’est une lettre pour Sa Majesté.
— Monseigneur, dit Guron, je n’en serai que plus
honoré.
— Monsieur de Guron, êtes-vous prêt ?
— Je suis prêt, Monseigneur.
Richelieu ferma un instant les yeux puis les rouvrit, et
dicta avec lenteur sa lettre au roi, suivant d’un œil attentif les progrès de
la plume de Guron sur le papier afin de ne pas aller trop vite en son
débit :
« Sire, il m’est impossible
de manquer de témoigner à Votre Majesté le déplaisir que j’ai d’être absent
d’elle pour un temps… L’affliction que j’en reçois est plus grande que je
n’eusse su me la représenter… Les témoignages qu’il vous a plu de me rendre de
votre bonté et de votre tendresse à mon endroit, tant par vous-même que par le
sieur de Guron, font que les sentiments que j’ai d’être éloigné du meilleur des
maîtres du monde me percent tout à fait le cœur… »
Monsieur de Guron, ayant fini, tendit l’écritoire au
cardinal qui signa. Il prit alors le papier comme il avait fait précédemment
entre le pouce et l’index, l’éventa, le plia en quatre et le mit ensuite dans
la poche intérieure de sa soutane.
Bouche close, les yeux baissés, j’appris cette lettre par
cœur au fur et à mesure que Richelieu la dictait. Je me la répétai ensuite dans
la carrosse de peur de l’oublier et la première chose que je fis en rentrant
dans ma chambre à Brézolles fut de la jeter sur le papier afin de la conserver
à jamais dans mes archives familiales. J’agis ainsi pour la raison que je
trouvais cette lettre si émouvante de soi. Mais aussi parce qu’elle donne
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