La Gloire Et Les Périls
de grâce, tirez les rideaux tout autour de nous.
À quoi sert donc un baldaquin, si on n’en tire pas les courtines ?
Belle lectrice, qui me lisez si attentivement que parfois
vous me ramentevez des phrases de mes Mémoires que j’avais oubliées, plaise à
vous de porter témoignage : lorsque dans mes écrits les courtines d’un
baldaquin se ferment sur un couple, je ne pousse pas mon récit plus avant.
Règle que je me suis donnée au rebours de mon père qui dans En nos vertes
années me parut avoir décrit avec un excès de détails ses amours avec la
vicomtesse de Joyeuse : ce qu’il m’a dit avoir regretté depuis, sans que,
du reste, la vicomtesse, alors même qu’elle était devenue vieillotte et dévote,
ne lui en gardât jamais la moindre mauvaise dent.
J’ose espérer du moins, belle lectrice, que je ne vais pas
offenser votre pudeur et que vous voudrez bien me pardonner les quelques
remarques que je vais faire ici, pour les raisons qu’elles ne sont pas
frivoles, mais absolument nécessaires à l’intelligence de mes relations, tant
présentes que futures, avec Madame de Brézolles.
Deux choses me donnèrent fort à penser dans le clos des
courtines. Des femmes que j’avais jusque-là encontrées, Madame de Brézolles
m’apparut comme la plus naïve et la plus ignorante des choses de l’amour,
exception faite, il va sans dire, de ce que nous avons de commun avec les
autres mammifères, qui est assurément l’essentiel pour la survie de l’espèce,
mais qui ne se peut comparer à l’émouvante richesse des caresses que le génie
humain a imaginées.
Cette découverte me donna la plus pauvre opinion de feu
Monsieur de Brézolles et j’entrepris aussitôt d’instruire sa veuve en ces
enchériments qu’on ne lui avait jamais enseignés. Elle fut, je dois le dire,
une écolière fort douée et fort avide de s’instruire. Mais, à ma prodigieuse
surprise, alors même qu’elle acceptait de bon cœur d’apprendre les
complaisances, elle refusa les précautions avec la dernière fermeté.
— Mais, M’amie, dis-je, si nous ne faisons pas cela que
je vous dis, vous courez le risque d’être mère.
— Je le courrai.
— Madame, aurez-vous un enfant hors mariage ?
— Peu me chaut ! La Dieu merci, je ne dépends de
personne ! J’ai de grands biens qui me sont propres. J’en aurai de plus
grands encore quand ma belle-famille cessera de me disputer l’héritage de mon
défunt mari.
— Mais, Madame, le scandale !
— Il n’y aura pas de scandale.
— C’est donc que vous allez marier à la va-vite le
premier venu pour justifier la présence en ce foyer de cet enfantelet ?
— Cela vous fâcherait-il ? dit-elle d’un air de
surprise heureuse.
— Assurément, je n’aimerais pas que mon enfant soit
élevé par un faquin…
— Comte, comme vous êtes touchant ! Vous avez dit
« mon enfant ». Il n’est pas encore fait.
— Mais s’il se fait, n’aurai-je pas quelques droits sur
lui ?
— Comte, vous les aurez tous, si vous m’épousez !
— Madame !
— Mon ami, dit-elle, ne prenez pas, de grâce, cet air
épouvanté ! Je ne revendique pas votre alliance ! Et même si ce jour
d’hui vous aviez l’imprudence de me la proposer, je ne pourrais que vous
opposer le refus le plus ferme.
— Et pourquoi donc ?
— Vous ne m’aimez pas encore assez.
Cette réplique me laissa sans voix.
— Vous pensez donc, Madame, dis-je au bout d’un moment,
qu’un jour viendra où je vous aimerai à votre suffisance ?
— Assurément.
— M’amie, vous êtes bien sûre de vous !
— Non, mon ami, c’est de vous que je suis sûre. Je
connais votre humeur. Vous aimez les gens. Vous savez vous faire aimer d’eux.
Et dès lors qu’ils vous aiment, vous les en aimez davantage.
— C’est donc ainsi qu’à votre sentiment, les choses
vont se passer, M’amie. Peux-je vous poser question ? Suis-je ici parce
que vous avez goût à moi, ou parce que vous voulez un enfant ?
— Je réponds « oui » à votre première question
et « oui » à la seconde. Me l’allez-vous reprocher, Monsieur ?
J’ai attendu dix ans un enfant que n’a pu me donner Monsieur de Brézolles.
Savez-vous comme vous m’êtes apparu quand vous êtes entré dans cette
demeure ?
— Je n’en ai aucune idée.
— J’ai presque vergogne à vous le dire tant cela va
vous paraître insensé. Vous m’êtes apparu comme un missusdominicus [11] .
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