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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mai ?
    — Oui, Monseigneur. Hélas ! Je le crois. Maugré la
faim qui les ronge, ils sont tous si résolus ! Les pasteurs et le peuple,
parce qu’ils combattent pour leur foi, les négociants et les armateurs parce
qu’ils combattent également pour leur foi, mais aussi pour conserver les
franchises qui les ont enrichis…
    Richelieu se garda bien d’acquiescer à un jugement aussi
offensant pour les bourgeois bien garnis de La Rochelle, mais je vis bien, à un
petit brillement de l’œil, qu’il n’était pas loin d’y trouver du vrai.
    — Pottieux, reprit-il, quid des choses
étonnantes qui se sont passées hier et ce matin à La Rochelle ?
    — Monseigneur, j’y viens.
    — Raison de plus pour que tu te ramentoives notre
contrat. Dans tes redisances, prends garde à partager bien les choses : le
bon pain croustillant pour le roi, et pour les rebelles, les miettes.
    — Je n’aurai garde de l’oublier, Monseigneur.
    — Poursuis.
    — Le vingt et un au soir, Monseigneur, il y eut
l’éclipse de lune.
    — Il n’était pas nécessaire, dit Richelieu, d’être à La
Rochelle pour l’observer. Moi-même je l’ai vue, si du moins on peut dire qu’on
a vu une éclipse.
    — Mais l’étonnant, Monseigneur, ce ne fut pas tant
l’éclipse que la façon dont les Rochelais prirent la chose. Ils en furent
excessivement effrayés. L’idée leur vint, je ne sais d’où, ni de qui, que ce
prodige annonçait pour eux les pires calamités. Les pasteurs tâchèrent en vain de
lutter contre cette superstition, arguant que si ce monstre noir, qui avait
voulu dévorer la lune, à la parfin avait été rejeté par elle, c’était bien que
la belle lumière de Dieu avait vaincu les ténèbres du diable… Pour une fois,
les pauvres pasteurs ne furent crus qu’à demi. Des superstitions de marins qui
se perdaient dans la nuit des temps inspiraient aux Rochelais une invincible
terreur de ce que, de leurs yeux, ils avaient vu : une lune sur laquelle
le diable, en passant, avait jeté le pan de son manteau noir. Et certes, si
Satan rôdait dans les parages, il n’allait pas s’arrêter là : les plus
grands malheurs allaient s’abattre sur La Rochelle. Tant est que cette nuit-là
fut pour les Rochelais pleine de cauchemars et d’horreurs, et d’autant qu’une
épouvantable tempête, grosse de vagues monstrueuses, avait succédé à l’éclipse,
et dura toute la nuit.
    — Poursuis, dit Richelieu.
    — Le lendemain, Monseigneur, c’est-à-dire ce matin, le
jour ne se leva pas. Un fort brouillard recouvrait la ville, le port et la
baie. Tant est qu’au bout de son bras, on ne pouvait voir sa main. Les
Rochelais, pour se rendre à leur travail, éclairaient leur chemin avec des
lanternes, et comme à une demi-toise, on voyait la lanterne, mais fort
confusément l’homme qui la portait, vous eussiez cru voir des fantômes errer de
par les rues. À ce moment-là, personne n’osait même ouvrir la bouche, car ce
brouillard, épais et noir comme de la poix, paraissait renforcer le présage
sinistre de l’éclipse et à tous rendait quasi certaine la perte de leur ville
et de leur vie, les grandes portes de La Rochelle s’ouvrant de soi par un
sortilège démoniaque et la horde des soldats royaux, instruments de Satan, se
répandant partout, tuant les hommes, forçant les filles, et incendiant les
temples et les maisons…
    — Que faisais-tu le temps que dura ce brouillard ?
dit Richelieu.
    — Je portais moi aussi une lanterne, Monseigneur. Et je
tâchais de gagner le port pour acertainer si la tempête de la nuit avait fait
ou non le dégât parmi les bateaux.
    — Comment l’aurais-tu vu, dit Richelieu, avec quelque
impatience, étant donné l’épais brouillard qui régnait alors ?
    — Quand je me suis mis en marche, Monseigneur, un vent
violent commença à souffler, et j’espérais qu’il allait dissiper la brume, et
c’est bien ce qu’il fit, avec une rapidité telle et si grande qu’on eût pu
croire qu’un rideau s’était brusquement levé. Je vis alors que les bateaux
n’avaient pas souffert. Mais entendant autour de moi un grand cri qui n’était
pas de terreur, mais de joie, je portai mes regards plus loin et je vis que la
tempête de la nuit avait ouvert une forte brèche dans la digue… Les cris
étaient assourdissants. D’aucuns, dans leur liesse, dansaient mais d’autres,
dont le nombre peu à peu grossit, se mirent à chanter des psaumes pour
remercier le

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