La Gloire Et Les Périls
Créateur. Les plus éloquents affirmaient bien haut qu’on avait
préjugé de l’éclipse, de la tempête et du brouillard et que c’étaient là des
signes, bien au rebours, favorables qui annonçaient sans doute possible que les
Rochelais avaient guerre gagnée. Le Seigneur allait détruire de fond en comble
l’orgueilleuse digue des papistes, comme il détruisit jadis la tour de Babel,
et les royaux, abandonnant leur tâche impie, allaient se disperser, poursuivis
par l’ire du Seigneur.
— Pottieux, dit le cardinal, la face imperscrutable,
épargne-moi les descriptions pathétiques. Tu ne m’apprends rien de neuf. Dès
que le brouillard s’est levé, Sa Majesté est allée reconnaître la brèche de la
digue à Coureille et cette vue n’a en aucune façon ébranlé sa résolution. Elle
a ordonné qu’on double là les travailleurs et le nombre des charrois. La brèche
sera réparée dans dix jours, et pendant ce temps, le travail sur le tronçon de
Chef de Baie se poursuivra comme devant. Veux-tu qu’on te donne un sauf-conduit
pour voir de près ce qui se fait meshui sur la brèche ?
— Nenni, Monseigneur, dit Pottieux d’un air effrayé, ce
sauf-conduit, si les Rochelais connaissaient son existence, me rendrait fort
suspect à leurs yeux. Je me bornerai à répéter vos propos, en les prêtant aux
« on-dit » de votre entourage. Cependant, Monseigneur, je voudrais
attirer votre attention sur un point. Je ne peux pas non plus désespérer les
assiégés. Leur soif d’être rassurés est telle qu’ils n’attacheraient plus
aucune foi à mes redisances, s’ils n’y trouvaient une lueur d’espoir.
Monseigneur, pardonnez-moi, mais je connais bien mon métier de rediseur ,
et si je ne leur apporte pas cette lueur, je perdrai auprès d’eux tout crédit.
Cela me parut étrange que Pottieux mendiât ladite lueur à celui
qui avait le plus d’intérêt à la lui refuser. Mais je méconnaissais
l’expérience émerveillable qu’avait acquise le cardinal dans le gouvernement de
ses mouches, lesquelles il recrutait avec le plus grand soin et écoutait avec
la plus grande attention, triant le vrai du faux et le faux du vraisemblable et
récompensant lesdites mouches sans chicheté, pourvu que les renseignements
qu’elles lui apportaient lui parussent dignes de foi.
— Eh bien, dit Richelieu, après un moment de réflexion,
vous pourrez dire que Sa Majesté tient en grande horreur le vent violent, la
froidure et les pluies qui régnent en ce pays, et qu’il le quitterait bien
volontiers, n’était qu’il entend demeurer fidèle à son devoir.
Si c’était là une lueur d’espoir, elle n’était ni nouvelle
(car le camp tout entier savait combien le roi pâtissait du mauvais temps) ni
fort brillante, car le roi avait trop grande idée de ses obligations pour se
dérober au siège.
Hélas, lecteur, l’avenir est un livre clos pour tous, même
pour un cardinal. Comment Richelieu aurait-il pu, quand il prononçait ces
paroles, imaginer que ce faible et vacillant espoir que le rediseur allait dispenser aux assiégés deviendrait, un mois plus tard, une désespérante
réalité ?
*
* *
À l’encontre de ce que l’on pouvait croire, il n’était pas
si malaisé, malgré les hauts murs dont La Rochelle s’entourait, de passer d’un
camp à l’autre. Les rediseurs , et ils étaient nombreux des deux côtés,
avaient leurs passages propres, leurs propres heures propices, connaissant
aussi les poignets qui se laissaient graisser pour entrebâiller une porte.
Cependant sans ruse ni trichotterie, et tout à plein régulièrement, le courrier
passait de la ville au camp sans encombre. Tant est que d’un bout à l’autre du
siège, le dialogue ne fut jamais vraiment interrompu entre les rebelles et les
royaux. On l’avait voulu ainsi des deux parts, dès le début du siège, ne fût-ce
que pour permettre au roi de racheter aux Rochelais les soldats qu’ils avaient
capturés lors de leurs sorties.
Les Rochelais, tant par habitude du négoce que pour ne pas
avoir à nourrir des bouches inutiles, avaient établi des barèmes de rachat
assez élevés qui allaient de cent livres pour un gendarme jusqu’à trois cents
livres pour un courrier royal. Même pour un simple soldat, le prix pouvait
atteindre deux cents livres, s’il était réputé vaillant (ce que leurs gardiens
apprenaient en parlant à bâtons rompus, et comme innocemment, avec les autres
prisonniers).
Après
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