La Gloire Et Les Périls
chez les jésuites,
lesquels, pour son malheur, le boutèrent hors de leur fameux collège pour avoir
commis un larcin. Ce qui l’empêcha d’entrer à l’École de médecine de
Montpellier pour suivre, comme c’était son projet, le cursus qui lui eût permis
d’être reconnu comme barbier-chirurgien. Il dut donc se contenter d’être
barbier, ce qui lui eût fait une bourse assez pauvre en pécunes s’il n’avait
rajouté à son arc, en guerre comme en paix, la corde de rediseur, métier
où il excellait, étant fort bon écouteur et sachant si bien jouer du plat de la
langue pour conter ce qu’il avait appris et surpris.
— Monseigneur, commença-t-il, avant que de narrer ce
qui s’est passé hier et ce matin, j’aimerais, avec votre permission, vous
narrer la situation générale telle qu’elle m’est apparue. Au point de vue des
viandes [36] , la pénurie existe déjà, mais elle
est fort mal partagée. Il n’est que de se promener par les rues pour le
constater. D’aucuns – les plus riches – ont encore assez bonne mine.
D’autres – les moins riches – sont passablement amaigris. Les
pauvres, eux, sont maigres. Mais même ceux-là ne perdent pas fiance en la
victoire de leur cause. Ils attendent avec fièvre et ferveur le secours de la
flotte anglaise, laquelle, selon eux, doit apparaître au milieu d’avril dans le
pertuis breton. Mais, dans cet espoir même, j’ai observé des fluctuations. Vous
n’ignorez pas, Monseigneur, que la semaine dernière une patache a réussi, la
nuit, à pénétrer jusque dans le port de La Rochelle, apportant des tonneaux de
farine, des pois et du lard. Il y eut grande joie et délire à cette arrivée,
grande sonnerie de cloches, grandes prières et prêches exaltés des prêcheurs
qui assurèrent les fidèles que c’était là le signe indubitable que le Seigneur
ne les abandonnerait pas. Et pourtant, quel durable remède pouvait apporter le
contenu d’une patache à une ville de vingt-cinq mille habitants ?
— Avez-vous pu, dit le cardinal, acertainer le nombre
des soldats anglais qui se trouvent dans la garnison ?
— Oui-da, Monseigneur, ils ne sont pas moins de six
cents. Et c’est fort heureux pour la défense des murailles. Non que les
huguenots n’aient pas le cœur au ventre, mais les Anglais l’emportent par
l’expérience, la discipline et le calme. Ils vivent entre eux, clos et cois,
sans désespérer, mais sans espérer trop non plus. Cependant, ils ne perdent
jamais de vue leurs petits intérêts. Tout soudain, ils ont exigé une
augmentation de solde et comme le corps de ville y renâclait, ils ont menacé de
se mettre en trie [37] .
— En trie ? dit Richelieu béant. En trie en pleine
guerre ? Et comment ?
— Eh bien, en s’abstenant de participer au combat et en
refusant de prendre leur tour de garde.
— Et qu’a fait le corps de ville ?
— À bon Anglais, bon huguenot : le corps de ville
a barguigné. Et des deux côtés, ce fut un très âpre bargoin. En fin de compte,
les Rochelais acceptèrent de verser aux Anglais une avance de cinq mille livres
à valoir sur leur solde. À mon sentiment, peu devrait chaloir aux Anglais de
recevoir cette somme. Si le siège n’est pas levé, ils seront tous dans leur
tombe et ils n’en pisseront pas plus roide.
Cette saillie grossière et militaire eût fait sourciller le
cardinal, s’il eut été en Paris ou au côté du roi en son Louvre. Mais en
campagne, portant lui-même épée et cuirasse et visitant le camp au moins une ou
deux fois par jour en cet appareil, il ne laissait pas quelque peu que de
lâcher la bride aux verts propos qu’il entendait, ne réprimant que les
blasphèmes et les ribauderies.
— Où en sont-ils plus précisément de leur
envitaillement ? dit Richelieu.
— Les farines deviennent rares et on fait meshui du
pain avec un peu de froment mélangé avec de la paille, mélange fade et peu
ragoûtant. La baie, il est vrai, regorge de poissons, mais les galères royales
patrouillent nuit et jour en deçà de la digue, coulant et capturant les bateaux
de pêche des Rochelais. D’aucuns s’aventurent à pied à marée basse dans la baie
pour chercher des coquillages, des crevettes, des crabes ou des petits poissons
dans les flaques. Mais ils sont tant à se passionner pour cette pêche qu’il n’y
a plus grande picorée.
— À ton sentiment, Pottieux, dit le cardinal, les
Rochelais peuvent-ils tenir jusqu’en
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