La Gloire Et Les Périls
du siège.
À ouïr ces paroles, la liesse fut telle et si grande dans la
foule que si d’aucuns poussèrent des cris et s’exclamèrent, d’autres, dans la
véhémence de leur joie, ne purent retenir leurs larmes. D’autres encore me
crièrent : « Mille mercis, Monsieur le Comte ! », ce qui me
laissa béant car enfin, pour que la duchesse décidât de rester avec les
Rochelais, il avait bien fallu que je lui demandasse de partir. De toute
manière, il y avait une telle contagion dans ces réjouissances qu’à peu que je
n’y prisse part et que je me sentisse heureux que l’objet de cette grande amour
ne les quittât point.
Toutefois, je crus bon de ne pas m’attarder davantage et
poussai mon Accla plus avant. Je craignais que quelqu’un, dans la foule, me
posât question sur les femmes et les enfants : ce qui eût tout gâté pour
mon maître et pour moi. Par bonheur, le capitaine Sanceaux – se peut parce
qu’il était chagrin de l’accueil amical que j’avais reçu des Rochelais –
fut aussi prompt à m’ouvrir les portes du Fort de Trasdon qu’il avait été
rebellant à les déclore à mon advenue.
Le bruit que les portes firent en se refermant derrière moi
me fit grand mal. Je retrouvai, moi, la liberté, mais les pauvres Rochelais
demeuraient pris au piège dans leurs propres murs, bombardés par nous aux
boulets rouges, réduits sinon déjà à la famine, du moins à la portion congrue
et déçus chaque jour de ne pas voir apparaître dans le permis breton les voiles
de la flotte anglaise de secours.
— Eh bien, Nicolas, dis-je, comme nos montures
approchaient de Saint-Jean-des-Sables, te voilà bien clos et coi. Que penses-tu
de tout cela ?
— Des huguenots, Monsieur le Comte ? dit Nicolas
comme s’il s’éveillait d’un rêve.
— Soit ! dis-je avec un sourire, ce sujet-là en
vaut un autre. Parlons des huguenots.
— Je n’en avais jamais tant vu, dit Nicolas, mais il
m’a semblé qu’ils sont de bonnes et honnêtes gens et tout aussi français que
moi.
— Certes ! Comme ils diraient. Mais ils ont quand même
violé l’édit de Nantes et chassé de La Rochelle les prêtres catholiques, occupé
les églises, en ont détruit les plus beaux ornements et se sont rebellés, ici
et là, contre le roi depuis dix-huit ans…
Mais Nicolas ne me renvoya pas la balle, tant il était
songeux et n’en dit pas davantage jusqu’à ce que nous parvînmes au château de
Brézolles.
Le couvert du dîner était mis déjà et nos assiettes, nous
assura Madame de Bazimont avec un sourire, s’ennuyaient de nous. Nous nous
mîmes, les dents aiguës, à une savoureuse repue, et la dévorâmes, sans faire
quartier, jusqu’au dernier morcel. Là-dessus, Madame de Bazimont nous fit
apporter des tisanes très chaudes et très sucrées. Ce qu’elle ne faisait, à
l’accoutumée qu’après le souper. Mais elle avait jugé, dit-elle, qu’avec un
temps si venteux et si froidureux, nous serions heureux de nous réchauffer et
d’autant que chez Madame de Rohan il n’y avait pas grand feu, car d’où
viendrait le bois ? les forêts ne poussent pas à l’intérieur des villes.
Toutes ces remarques, servies en même temps que les tisanes
qui furent en effet les très bienvenues, avaient pour but d’amener des
questions sur Madame la duchesse de Rohan à laquelle notre Intendante
s’intéressait avec une curiosité dévorante. Je fis de mon mieux pour la satisfaire
(sans lui en dire plus toutefois qu’il en fallait sur ma mission) tant je la
trouvais avec nous bonne, attentionnée, et quasi cajolante. Sur quoi elle s’en
alla, toute guillerette et fiérote, écrire tout ce que j’avais dit dans son
journal qu’elle tenait, me confia-t-elle, depuis quarante ans, mais noulut
jamais me laisser lire, pour ce que l’orthographe, disait-elle, n’en était pas
fort bonne.
— Elle ne saurait être pis, lui dis-je, que celle de ma
marraine la duchesse de Guise.
— J’entends bien, me dit alors Madame de Bazimont avec
une révérence, mais pour Madame de Guise, il importe peu. Elle est duchesse…
Là-dessus Madame de Bazimont se retira et quand avec elle
fut départie la parole, vous eussiez pu ouïr le bruit que faisaient nos
gargamels pour happer nos tisanes, Nicolas, toujours clos et coi, étant perdu
corps et bien dans ses songes.
— Est-ce bien toi qui es là, Nicolas ? dis-je à la
parfin. Ou est-ce seulement ton apparence ? Ta mortelle enveloppe ?
Ou
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