La grande Chasse
ont été équipés de réservoirs supplémentaires. Nous volons par n'importe quel temps. Peu à peu, nous acquérons une sorte de sixième sens qui nous permet de nous orienter au-dessus de la mer même dans le brouillard.
26 août 1941.
Vers 10 heures, l'adjoint du chef d'escadre, le lieutenant Rumpf, m'appelle au téléphone pour m'annoncer que mon autorisation de mariage vient d'arriver. Enfin !
Le grand patron me reçoit fort aimablement. Il m'accorde aussitôt la permission que je sollicite en bégayant, et met même à ma disposition le petit avion de tourisme réservé, en principe, aux déplacements officiels. Autrement, j'aurais été obligé de me taper plus de mille kilomètres en chemin de fer.
En partant sur-le-champ, je pourrai épouser ma petite Lilo après-demain matin.
Je décolle à midi et, après un tour de terrain, met le cap sur la salle des mariages. Qu'il fait bon survoler ce calme paysage d'été. Dans le ciel vibrant de soleil, des cumulus neigeux flottent majestueusement. Le moteur égrène vaillamment son chant modeste, si différent du vrombissement sonore du Messerschmitt. De temps en temps, je pique vers un champ où les paysans sont en train de moissonner, ou vers un lac où s'ébattent joyeusement des baigneurs bronzés. Décidément, il fait bon vivre !
Encore vingt-quatre heures, et je serrerai ma fiancée dans mes bras !
A 3 heures, je me pose à Prenzlau, refais le plein et repars — direction : le bonheur. A présent, le ciel est moins limpide. Encore vingt minutes, puis, une brusque averse s'abat sur l'appareil. Des rafales hargneuses me secouent durement, la visibilité diminue pour devenir pratiquement nulle. Manifestement, je n'arriverai plus aujourd'hui à Posen, ma seconde escale.
Inutile de vouloir tenter l'impossible. Lilo veut se marier avec un pilote vivant, et non avec un pilote transformé en bouillie.
Après une dernière hésitation, je change de cap. A 16 h 30, je me pose à Werneuchen sous une pluie battante.
27 août 1941.
J'avais l'intention de repartir dès potron-minet, mais à cause du temps détestable, la tour de contrôle ne m'autorise à décoller qu'à 9 heures. Il pleut toujours, la visibilité reste médiocre.
Je mets près de trois heures pour atteindre le terrain de Posen. A présent, les nuages traînent au ras des arbres, et la pluie s'est transformée en une sorte de cataracte. Le contrôleur, plus raisonnable que moi, ne veut pas me laisser partir. Il n'a pas tort, ce brave homme, seulement, je tiens à revoir Lilo ce soir, et non demain. Furieux, je tourne en rond dans la grande salle du mess. Nom de nom de sacré nom...
Enfin, le ciel referme ses écluses. Mais le contrôleur ne veut rien savoir.
— Attendez que les nuages se lèvent, répète-t-il, obstiné. Vous n'êtes pas trop mal ici, n'est-ce pas ? On s'arrangera pour vous trouver un lit, vous repartirez demain matin.
Sur le terrain, deux groupes d'élèves-pilotes ont repris l'entraînement quotidien. Les petits biplans décollent, font deux ou trois tours de terrain, atterrissent et décollent de nouveau. Je les observe distraitement. Soudain, j'ai une idée !
Je me hisse dans mon moulin, lance le moteur et roule jusqu'à l'entrée de la piste où un élève inscrit les départs de ses camarades dans un énorme registre.
Il me fait signe d'arrêter, s'approche et, comme mon visage lui est inconnu, me demande mon nom. Je lui explique que je veux seulement faire des essais de moteur au-dessus du terrain, et qu'il n'a pas besoin de me coucher sur son registre. Il voit alors mes galons et, très martial, claque les talons.
— A vos ordres, mon lieutenant !
J'ai du mal à ne pas éclater de rire.
Le gamin lève son drapeau vert. Je décolle, évolue pendant cinq minutes dans le ciel cotonneux et atterris. Comme je me présente de nouveau à l'entrée de la piste de départ, le garçon rectifie précipitamment la position et, toujours aussi solennel, brandit son drapeau. Je lui adresse au passage un bref signe d'intelligence.
Puis, j'arrache mon coucou et, carrément, prends la direction d'une colline boisée. La crête franchie, je descends jusqu'à une vingtaine de mètres du sol et mets le cap sur Lodz. Je ris tout seul en pensant à la tête que fera le contrôleur de Posen quand il découvrira que je me suis sauvé.
Quelque cent kilomètres plus loin, je ne ris plus du tout. Les nuages, plus massifs que jamais, s'accrochent aux cimes des arbres, des
Weitere Kostenlose Bücher