La grande Chasse
trombes d'eau limitent de plus en plus la visibilité, des rafales assènent des gifles brutales à mon appareil qui titube comme un ivrogne. Je suis obligé de voler en rase-mottes. Dans les villages aux rues boueuses, des visages étonnés se lèvent vers moi.
Près de Kalisch, je découvre enfin la voie ferrée Breslau-Lodz. Je pousse un soupir de soulagement. Me voilà sauvé ! Je n'ai qu'à suivre les rails qui me conduiront, malgré ces satanés nuages, jusqu'au terminus de ce voyage impossible.
Pourtant, je ne me sens pas rassuré. Avec cette visibilité proche de zéro, un atterrissage forcé signifierait un appareil démoli avec une condamnation par le tribunal militaire à la clé. Ce serait un joli cadeau de noces ! Six mois de prison — au minimum — et la perte de mes galons.
On dirait que ça se lève ! En effet, les nuages remontent sensiblement, la pluie diminue et, bientôt, s'arrête. Décidément, il y a un Dieu pour les fous de mon espèce !
Encore quelques minutes, et je survole la petite ville de Sieradz. C'est là que mon paternel exerce, depuis l'occupation de la Pologne, les fonctions d'officier de police. Et c'est là que se trouve Lilo.
J'amorce une chandelle, puis, renversant l'appareil, pique sur la place du Marché. Au ras des toits, je rétablis, remonte, plonge de nouveau. Dans les rues, les passants s'attroupent pour observer et commenter les manœuvres insensées de ce pilote qui a dû perdre la raison. Au premier étage d'un grand bâtiment, la porte-fenêtre donnant sur le balcon s'ouvre brusquement, et je vois apparaître mes parents. Derrière eux, Lilo agite joyeusement son mouchoir.
Un dernier passage à toucher les pignons des vieilles maisons, puis, je repars en direction de Lodz où je vais me poser sur un terrain auxiliaire. J'ai la chance de trouver une voiture.
Une heure et demie plus tard, je serre Lilo dans mes bras. Quand je lui annonce que nous nous marierons le lendemain matin, elle n'arrive pas à le croire. Mes parents sont aussi surpris qu'elle. Comme toujours, j'ai oublié d'annoncer ma visite.
28 août 1941.
On dirait que la guerre a secoué nos chers fonctionnaires. En une seule matinée, nous avons pu liquider toutes les formalités. Et Dieu sait s'il y en a !
A 15 heures, Lilo et moi sortons de la salle des mariages.
Entre-temps, l'appartement de mes parents s'est transformé en exposition de fleurs.
Que dire du reste de la journée, sinon que nous sommes heureux, follement heureux.
29 août 1941.
Depuis quelques heures, je me balade de nouveau en plein ciel.
Après deux escales, à Francfort-sur-Oder et à Cassel, je me pose à 19 heures sur le terrain de mon escadrille. Bien entendu, les camarades me traînent aussitôt au mess pour me faire payer une tournée générale.
Un peu plus tard, juste avant la tombée de la nuit, les haut-parleurs se mettent à hurler : Alerte ! Quelques Blenheim rôdent le long de la côte. Nous décollons immédiatement, mais les Tommies restent introuvables.
Dire que j'ai failli oublier, durant ces trois jours, que nous sommes en guerre, et que je suis soldat.
4
1942 : MER DU NORD, NORVEGE ET HOLLANDE
1er janvier 1942.
A présent, je connais le golfe d'Allemagne et la mer du Nord comme ma poche.
J'ai à mon actif une bonne centaine de sorties, presque toutes par mauvais temps : missions d'escorte pour les convois de la marine, interceptions de bombardiers britanniques, quelques escarmouches sans résultat.
A l'ouest, la guerre se déroule au ralenti. Les bombardiers britanniques ne s'aventurent guère en plein jour au-dessus du continent. Notre travail n'est qu'une simple routine, ni plus dangereux ni plus facile que le travail d'un pilote civil. Nous faisons notre métier, consciencieusement mais sans enthousiasme. Quant aux victoires à remporter et aux décorations à décrocher, mieux vaut ne pas y penser. Seuls les chasseurs de nuit ont l'occasion de se battre.
Sur le front de l'est, par contre, la situation est devenue dramatique. La Wermacht, après avoir obtenu des succès extraordinaires, s'est heurtée à un ennemi invincible : l'hiver russe. Nos soldats insuffisamment équipés, souffrent et luttent avec un courage admirable. En Allemagne, les autorités s'efforcent de réunir en hâte tout ce que ces messieurs des bureaux ont oublié : couvertures, vêtements chauds, bottes fourrées, liquide antigel. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard...
Je viens de recevoir des nouvelles du 52e
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