La grande Chasse

d'état-major, nous parvient le chant mélancolique d'un accordéon.
    « Douce nuit, Sainte nuit... »
    Jusqu'à bien après minuit, Lilo, Dieter et moi bavardons, installés dans les profonds fauteuils de mon « salon », devant un bol de punch fumant. Plus exactement, Dieter et moi bavardons, et Lilo écoute. Nous rappelons des incidents drôles ou dramatiques, nous évoquons les camarades qui, au cours de l'année écoulée, venaient s'asseoir à cette même table : le capitaine Dolenga, en passe de devenir un as de la chasse de nuit, ou le lieutenant Steiger, ce grand garçon blond qui, au mois de septembre, fut abattu sous nos yeux, à la lisière du terrain, trop bas pour sauter en parachute.
    Dieter étouffe un bâillement et s'extirpe de son fauteuil. Il titube légèrement. Lilo sourit en regardant ce grand gamin qui a trop bu. Je le reconduis jusqu'à sa carrée.
    Quand je reviens, Lilo, immobile au milieu de la pièce, contemple, par la porte ouverte de la chambre, le petit lit où Ingrid dort paisiblement. Lentement, elle se tourne vers moi. Ses bras se lèvent pour m'attirer contre elle.
    La guerre, l'inquiétude, la longue séparation, tout est oublié. Nous sommes seuls...

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FORTERESSES VOLANTES SUR L'ALLEMAGNE
    4 février 1943.
    Il y a quelques jours, la VIe Armée a capitulé, dans les décombres glacés de Stalingrad.
    Même ici, à l'autre extrémité de l'immense territoire tenu par l'Allemagne, tous les visages sont graves. Je sors pour errer sans but à travers le terrain. Le régiment de Hameln, ma ville natale, faisait partie de l'armée von Paulus. Une partie de mes camarades d'enfance avaient été incorporés dans ce régiment. Combien d'entre eux sont morts dans ce Verdun de la deuxième guerre mondiale ?
    Vers midi, des formations de bombardiers américains attaquent pour la première fois des objectifs situés en Allemagne, sur les côtes de la mer du Nord.
    Cette attaque, nous l'attendions depuis plusieurs semaines. Les formations ennemies sont composées de quadrimoteurs, des Liberator et des Bœing B 17. Ce dernier type d'appareil porte le surnom significatif de « forteresse volante ». Avec son énorme armement défensif, c'est en effet une véritable forteresse dont l'apparition pose à la chasse allemande un problème extrêmement difficile.
    Au cours des derniers trois ou quatre mois, notre service de renseignements nous a fourni un certain nombre d'indications sur ce géant des airs. Peu à peu, nous arrivons à le connaître jusque dans ses moindres détails. Nous découvrons ainsi que, théoriquement tout au moins, l'appareil doit échapper aux attaques de la chasse. Ses seize mitrailleuses lourdes ne laissent subsister aucun angle mort.
    Pendant des heures et des heures, j'ai discuté avec mes pilotes de la tactique à suivre pour l'attaquer quand même, avec un maximum de chance et un minimum de risque. A l'aide de modèles réduits, nous avons étudié toute la gamme des possibilités d'approche. Dès que nous avons une minute, nous calculons les distances, les angles de tir, la durée de chaque manœuvre.
    Au-dessus de la France, notre chasse a déjà abattu plusieurs Liberator et Bœing. Victoires lourdes de conséquences, car elles ont entamé le mythe de l'invulnérabilité qui entourait les appareils américains.
    Le Haut Commandement a considérablement amélioré les conditions tactiques de l'emploi de la chasse, en édifiant un véritable rempart de radars, en installant de nouveaux centres de contrôle au sol, en construisant des postes radio supplémentaires pour le procédé Y.
    Pour ma part, je me rends compte que la chasse allemande est arrivée à un tournant décisif. Les Américains, en lançant aujourd'hui leur première attaque massive en plein jour, ont bouleversé les données stratégiques et tactiques de la guerre aérienne.
    Tant pis ! Nous essaierons de nous adapter à ces conditions nouvelles.
    12 février 1943.
    Depuis 7 heures du matin, nous sommes en état d'alerte. Les postes de radar ont signalé une puissante concentration ennemie dans le carré Dora-Dora, c'est-à-dire devant Great Yarmouth.
    L'escadrille a un moral du tonnerre. Les quadrimoteurs ne nous impressionnent plus. Avant-hier, Dieter Gerhard et le sous-lieutenant Frey, mon adjoint, ont abattu chacun un Liberator. Donc, la chose est faisable.
    11 h 13. Décollage immédiat. En deux minutes, l'escadrille au grand complet a pris l'air.
    Les onze appareils de mes camarades sont