La grande Chasse
une telle résistance. Malgré ses cris déchirants, je le traîne dehors. Une minute plus tard, le toit de la porcherie nous aurait écrasés tous les deux.
Les entrailles du Liberator sont tombées dans une prairie clôturée. L'explosion de l'appareil a littéralement éjecté les hommes de l'équipage. Les corps flasques, aux membres tordus, gisent, tous ensemble, parmi les débris fumants. Cent mètres plus loin, derrière un talus, nous retrouvons le siège du pilote.
Dans les branches basses d'un pommier, entre deux vitres émiettées de plexiglass, une petite poupée, la mascotte du bombardier, est miraculeusement intacte.
Une heure plus tard, j'atterris sur notre terrain. Mes hommes me portent sur leurs épaules jusqu'à la baraque centrale.
C'était mon premier quadrimoteur abattu, ma 164e mission offensive, ma 1 004e sortie. Il y a trois ans, presque jour pour jour, je montais pour la première fois dans l'appareil d'instruction. Mon Dieu ! que j'ai changé.
L'escadrille enregistre, pour cette seule sortie, cinq grosses bagnoles descendues. Nos propres pertes se réduisent à quelques ailes endommagées. Un beau bilan ! Mes pilotes jubilent.
Malgré cette allégresse générale, je revois sans cesse les corps mutilés des aviateurs américains. Quand notre tour viendra-t-il ?
28 février 1943.
Toute la nuit, Dieter Gerhard et moi avons discuté dans ma chambre. Les incursions quotidiennes des bombardiers américains nous inquiètent de plus en plus. A tout prix, il faut trouver une parade.
Dieter a une idée intéressante.
Nous pourrions, pense-t-il, essayer de lancer des bombes sur les formations serrées des Américains.
Pendant peut-être cinq heures, nous avons calculé des vitesses et des angles de chute. D'après nos estimations, un lâcher concentré de bombes, exécuté par l'escadrille étroitement groupée, devrait obtenir des effets appréciables. Ensuite, nous pourrons attaquer avec nos armes de bord.
Le Messerschmitt 109 G peut emporter deux cent cinquante kilos de charge utile. Nous pourrons donc employer soit quatre bombes de cinquante kilos, soit une seule de deux cents kilos, ou encore un « récipient » contenant une centaine de petites bombes de deux kilos, les mêmes qu'au début de la campagne de Russie, je lançais sur les Ivan.
Comme nous lâcherions nos bombes à environ mille mètres au-dessus des appareils ennemis, il faudra un détonateur réglé pour provoquer l'explosion au bout de quinze secondes.
Au début de la matinée, je me présente chez le commandant et lui expose notre projet. Tout d'abord, il éclate de rire. Puis, ébranlé par mon insistance, il capitule et m'autorise à préparer un essai.
L'après-midi, je m'envole d'un coup d'aile au quartier général de la division aérienne pour affronter le grand patron et le chef régional de la chasse. Très compréhensifs, ils m'écoutent patiemment et me promettent leur concours.
Je profite de leurs bonnes dispositions pour réclamer la livraison immédiate de cent cinquante bombes d'exercice de cinquante kilos. Je demande également la permission de faire équiper nos appareils d'un dispositif pour le transport et le lâcher des bombes. Pour finir, au moment de prendre congé, je suggère que la section d'études nous prête chaque jour, pendant quelques heures, son appareil-cible. C'est un Junker 88 dont la vitesse se rapproche de celle du Bœing. Il pourrait traîner au bout d'un câble un sac long de trois mètres que nous essaierions d'atteindre avec nos bombes d'exercice.
Le grand patron m'accorde tout, sans même discuter. Le chef régional de la chasse décroche personnellement le téléphone pour commander le matériel nécessaire. Pour une fois, nos supérieurs ne nous feront pas de difficultés.
8 mars 1943.
Deux jours après ma visite au quartier général, trois camions ont amené les bombes d'exercice. Le reste du matériel est arrivé ce matin.
Entre-temps, nous nous sommes entraînés au vol en formation encastrée. Comme l'escadrille ne compte que des vétérans du manche à balai, nous obtenons très vite un résultat parfait. Vus du sol, les appareils forment une planche qu'aucune manœuvre ne peut disloquer.
Sur ma demande, l'escadrille a été détachée du groupe qui, désormais, sera engagé uniquement en entier, contre des formations massives de quadrimoteurs. Mon escadrille par contre, sera utilisée contre des formations moins importantes. On nous a attribué une autre
Weitere Kostenlose Bücher