La grande Chasse
Maréchal de l'Air. C'est bien vous qui avez détruit, ce matin, une forteresse volante par une bombe ?
— Parfaitement, mon commandant.
Il m'interroge brièvement sur le modèle de la bombe et du détonateur, la méthode de visée, les effets obtenus. Puis, d'un ton doucereux :
— Qui avait ordonné l'emploi d'une bombe ?
L'espace de quelques instants, je reste coi.
— Euh... c'est que... à vrai dire, personne mon commandant. J'ai tout simplement emporté cette bombe, je l'ai lâchée...
Un silence.
Pour la première fois, je me rends compte qu'au fond, personne ne m'avait donné l'ordre de lâcher une bombe sur ces malheureux Ricains. En somme, j'ai agi de ma propre autorité, ce qui est plutôt mal vu dans l'armée.
Mon interlocuteur s'éclaircit la voix.
— Je vous mets en communication avec le Maréchal du Reich.
Un déclic. Instinctivement, tout en restant couché, à l'horizontale, je rectifie la position. D'un ton martial, je me présente :
— Lieutenant Knoke, commandant la cinquième escadrille de la première escadre de chasse.
— J'ai été enchanté d'apprendre que vous avez fait preuve d'initiative. Une initiative très heureuse. J'ai tenu à vous féliciter personnellement.
— Je vous remercie, monsieur le Maréchal. Un second déclic. Terminé.
Et voilà ! Un lieutenant de la Luftwaffe qui, couché dans son lit, vêtu uniquement d'une veste de pyjama, s'entretient avec son chef suprême. Quelle histoire à raconter à mes petits-enfants !
Si le gros Göring savait que je n'ai même pas de pantalon !
J'en ris tout seul.
23 mars 1943.
Le standardiste vient de m'annoncer que je dois sur-le-champ appeler le Centre d'Etudes Techniques de Rechlin. Ces messieurs demandent de toute urgence un premier rapport oral.
Nom d'un chien ! je sens que je vais bientôt regretter d'avoir lâché cette bombe !
Je suis encore en train de me gratter la tête quand le téléphone sonne de nouveau. Cette fois, c'est le général Bürstenhuber, surnommé « le Bavarois », qui commande le XIIe corps de la Luftwaffe.
Il parle tout de suite de mon « acte nullement autorisé » et me passe un savon terrible. Sa voix résonne tellement que j'éloigne l'écouteur de mon oreille pour l'en rapprocher seulement lorsque les hurlements se sont atténués.
— Ce serait une jolie pagaille si le moindre lieutenant pouvait faire ce qu'il veut ! tonne le Bavarois.
Eh oui, bien sûr — dans la vie, tout n'est qu'une question de point de vue. Pour l'un, j'ai pris une initiative très heureuse, pour l'autre, j'ai commis un acte nullement autorisé !
— Et je suppose que vous n'avez aucun argument à présenter pour votre défense ? poursuit mon correspondant, implacable. Evidemment, vous ne savez que dire... Là, il se trompe !
— Si, mon général. Cette nuit, monsieur le Maréchal du Reich en personne m'a appelé pour me féliciter.
A l'autre bout du fil, on se tait...
Vers le milieu de l'après-midi, arrive le colonel Lützow, inspecteur régional de la chasse. C'est un de nos as, titulaire de la croix de chevalier. Un homme encore jeune, grand, svelte, très sympathique.
Au cours d'une conversation amicale, nous examinons la possibilité de généraliser l'emploi des bombes contre les quadrimoteurs.
Possibilité d'ailleurs limitée dans le temps. Nous savons fort bien que la méthode deviendra inapplicable dès que l'ennemi fera escorter ses bombardiers par des chasseurs.
Comme Lützow prend congé, je ne puis m'empêcher de remarquer :
— Elle en a fait, du bruit, cette bombe de malheur. Franchement, mon colonel, je voudrais ne l'avoir jamais lancée...
Il éclate de rire.
— Moi aussi, mon ami.
17 avril 1943.
Les Américains attaquent Brême. Juste au-dessus de la ville, l'escadrille, volant en formation encastrée, lâche ses bombes. Toutes sans exception, manquent l'objectif !
Après trois attaques frontales, j'arrive à incendier un Bœing qui va s'écraser dans un champ. Dans l'ensemble, c'est quand même une bonne journée, avec quatre bombardiers descendus, sans une seule perte de notre côté.
14 mai 1943.
L'ennemi lance une attaque massive sur Kiel. De nouveau, nous décollons avec nos bombes.
Au-dessus de Holstein, à environ neuf mille mètres, j'essaie à plusieurs reprises d'engager l'escadrille en entier. Chaque fois, la formation ennemie vire et se dérobe. Manifestement, les Ricains ont deviné nos intentions.
Au-dessus de Kiel, nous sommes
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