La grande Chasse
chasse. Nous allons avoir l'honneur de recevoir le Maréchal du Reich qui arrivera une heure plus tard, traînant à sa suite une colonne de quelque trente voitures.
Comme il a exprimé le désir de faire la connaissance des meilleurs spécialistes de la lutte contre les forteresses volantes, je peux m'entretenir avec lui pendant une dizaine de minutes.
Avec mes quinze quadrimoteurs abattus, j'arrive en tête de la région divisionnaire, ex-aequo avec le capitaine Specht et le lieutenant Frey.
Göring fait une impression bizarre. Il porte un uniforme fantaisiste, gris clair, aux épaulettes brodées de fils d'or. Ses grosses jambes sont engoncées dans des bottes de cuir rouge.
Le visage paraît bouffi, comme par une maladie. On dirait qu'il est poudré.
Seule sa voix est agréable, chaude, sympathique cordiale. Cette chaleur est certainement sincère. Je sais qu'il a une affection paternelle pour ses pilotes.
Il m'interroge sur mes victoires en s'intéressant surtout au premier Mosquito que j'ai abattu il y a une année. Les Mosquito, déclare-t-il, sont en quelque sorte ses ennemis personnels. Les deux appareils que j'avais interceptés, ce jour-là, l'avaient particulièrement irrité. L'alerte déclenchée par leur apparition au-dessus de Berlin l'avait empêché pendant près de deux heures, de commencer un important discours.
Un peu plus tard, le maréchal, s'adressant à tous les pilotes, aborde les grands problèmes de la défense du territoire allemand. A la surprise générale, il attribue la responsabilité de nos graves échecs sur le front de l'ouest au niveau insuffisant de la chasse. Il insiste longuement sur les magnifiques exploits de la R.A.F., pendant la bataille d'Angleterre. Et il nous invite à suivre l'exemple des héros britanniques.
Pour ma part, je suis parfaitement d'accord avec cette partie du discours. En revanche, il me semble que le chef suprême de la Luftwaffe ne se rend pas très bien compte des conditions dans lesquelles nous nous battons.
Il ignore, ou il fait semblant d'ignorer, qu'au point de vue technique, la supériorité de l'adversaire est écrasante. Depuis les succès initiaux des campagnes de France et de Pologne, notre ministère de l'Air se repose sur ses lauriers. Ces messieurs dorment même si bien qu'aucun bombardement ne peut les tirer de leur sommeil.
Au point de vue numérique, c'est pire. Le nombre des unités engagées dans la défense aérienne du territoire allemand est d'une insuffisance pathétique. En mettant les choses au mieux, nous nous battons à un contre huit !
Si malgré cette disproportion tragique, l'ennemi a subi des pertes sensibles, ce résultat est dû uniquement au moral extraordinaire de nos pilotes, à leur volonté tenace, à leur esprit de sacrifice.
Mais le moral ne peut, à lui seul, assurer la victoire. Il nous faut des avions perfectionnés, des moteurs plus puissants. Et aussi un homme décidé à pratiquer des coupes sombres dans le personnel des bureaux !
23 novembre 1943.
Il y a quelques jours, Führmann n'est pas rentré d'une mission d'interception. On l'a retrouvé dans les tourbières de Friesoyte. L'appareil et le corps s'étaient enfoncés de sept mètres dans le sol marécageux.
Ce matin, nous avons appris que le capitaine Dolenga, notre ancien chef d'escadrille, a été abattu en combat aérien.
Nous accrochons sa photo au mur du mess, dans la longue galerie des camarades disparus.
Wolny, Steiger, Kone, Kramer, Gerhard, Höfig, Führmann, Dolling, Dolenga...
A qui le tour ?
18 décembre 1943.
Le 2 décembre, l'escadrille a descendu son centième bombardier. Le 11, j'ai abattu mon vingtième appareil. La liste devient impressionnante.
Depuis trois jours, je dois partir en permission. Je me demande si je vais y arriver.
Chaque jour, les forteresses volantes attaquent le territoire du Reich.
Hier matin, j'étais déjà installé dans la voiture qui devait me conduire à la gare, quand les haut-parleurs annoncèrent l'alerte assise. Je descendis pour courir vers mon appareil. Le chauffeur secoua la tête, et Arndt me demanda si j'allais enfin rentrer à la maison.
A 3 000 mètres, je fus obligé de faire demi-tour. Impossible de remonter le train d'atterrissage. La rage au cœur, je passai le commandement à Wernecke.
Mes pilotes descendirent deux quadrimoteurs et un Thunderbolt ! Peut-être voulaient-ils me prouver qu'ils pouvaient se débrouiller sans moi.
Maintenant, c'est décidé. Je pars.
Du
Weitere Kostenlose Bücher