La grande Chasse
une école, tuant cent vingt enfants, un tiers des enfants de la petite ville !
Cette guerre est trop atroce, trop inhumaine !
4 septembre 1943.
Depuis une semaine, nous sommes installés à Marx, un terrain important avec trois pistes bétonnées, au sud de Jever. Nous avons eu une brève accalmie. Chaque matin, je pars en promenade, accompagné de Turitt qui s'amuse à poursuivre les mouettes dont le vol rasant a le don de l'exaspérer.
A 8 h 30, les haut-parleurs interrompent l'émission de musique de danse pour ordonner l'alerte assise. Turitt gambade à côté de moi et saute sur le plan gauche de mon appareil, pendant que je me hisse dans le cockpit. Depuis mon arrivée de Norvège, c'est sa place attitrée à chaque alerte. Lorsque le moteur démarre, il se laisse emporter par le souffle de l'hélice, retombe sur ses quatre pattes et « dégage » en s'échappant par la gauche. Puis, quand l'appareil s'ébranle, il le suit, jusqu'à ce que l'allure dépasse ses moyens.
Une fois de plus, les Américains se dirigent vers la Hollande du Nord. Nous décollons au grand complet. Quarante appareils montent en décrivant un large virage, pour se grouper au-dessus du terrain.
— Caruso trois-six-zéro, indique le contrôleur.
Ce qui signifie que nous devons prendre un cap de 360 degrés.
Nous grimpons lentement. A partir de 7 000 mètres, les appareils traînent de longs filets de condensation. Il fait un froid de canard. L'haleine gèle sur les masques à oxygène. De temps en temps je frappe mes mains contre mes cuisses pour me réchauffer.
Loin dans l'ouest, nous distinguons maintenant la formation ennemie, box massif de quelque quatre cents forteresses volantes. Etroitement groupés, nous obliquons à sa rencontre. Quelques minutes plus tard, le tir de toutes nos armes déclenchées, nous fonçons dans la phalange qui vomit un fleuve de traceuses.
A cinquante mètres, je vois mes obus pénétrer dans le nez d'un quadrimoteur dont la silhouette énorme remplit complètement le collimateur. Passant de justesse sous son ventre, je traverse toute la formation et, retrouvant l'espace libre, vire en cabrant au maximum.
Ma victime est sévèrement touchée. Elle bascule en avant, dégage par le bas et, d'une allure un peu incertaine, fait demi-tour.
Ah non, mon ami ! Si tu crois que je vais te laisser rentrer, tu te fourres le doigt dans l'œil.
Dès que la grosse bagnole est hors de portée des mitrailleuses de ses amis, je me colle dans son sillage. Tranquillement, systématiquement, je commence à la démolir. Ses zigzags ne me dérangent guère. Bientôt, le gros bombardier flambe, comme une torche. Déjà, huit parachutes s'épanouissent dans le ciel.
L'épave descend de plus en plus vite. Volant sur sa gauche, à quelques mètres, j'examine les brèches béantes que mes rafales ont ouvertes dans son fuselage.
Tout à coup, un éclair part de la tourelle, et une gerbe de balles claque dans mon moteur.
Aussitôt, des flammes jaillissent du radiateur. Les gouvernails ne répondent plus aux sollicitations du manche et du palonnier.
Encore un zinc de bousillé !
Et c'est la succession classique des manœuvres finales... larguer le hublot, détacher les sangles du siège...
Mon malheureux moulin tombe, se met en vrille, se rétablit, puis, une force irrésistible m'arrache.
Je me retrouve entre ciel et terre, suspendu au parachute que je ne me souviens même pas d'avoir ouvert.
Quelques centaines de mètres plus bas, planent les parachutes des Américains. Je vais me baigner en compagnie des mâcheurs de chewing-gum. Peut-être allons-nous nous noyer tous ensemble.
La mer est dure aujourd'hui !
Avant de plonger dans l'eau, je détache la boucle du parachute.
Juste comme je remonte à la surface, une vague déferle sur ma tête. Suffoqué, je bois la tasse !
Mon gilet de sauvetage se gonfle, me porte jusqu'au sommet d'une lame, me supporte pendant que je glisse jusqu'au fond d'un creux vert émeraude. Mon canot pneumatique a parfaitement résisté au choc. Je réussis à m'y hisser, entre deux vagues qui tentent de me l'arracher.
Balancé d'un mouvement égale, je ferme les yeux, pour essayer de me calmer. A chaque déferlement, l'eau gicle dans le canot. Inutile d'écoper, de toute façon, l'embarcation ne peut pas couler. Je préfère ménager mes forces.
Je suis trempé jusqu'à la moelle des os, je claque des dents, j'ai une sensation bizarre dans l'estomac. L'eau salée me cuit
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