La grande Chasse
cause : fracture du crâne et des vertèbres lombaires, contusions graves à l'épaule et au flanc droits, tissus écrasés sous la hanche droite, commotion cérébrale, déviation de la colonne vertébrale qui paralyse les nerfs du côté droit.
Je vomis continuellement. Des infirmiers me transportent dans une chambre, me couchent dans un grand lit aux draps blancs.
Je souffre terriblement, et j'ai aussi terriblement sommeil.
Dire que ce devait être aujourd'hui mon dernier jour de permission.
Dans la soirée seulement, je reprends un semblant de lucidité.
Le second lit de la chambre est occupé par un pilote ramené de Russie. Un obus de D.C.A. lui a arraché la jambe droite et le pied gauche. Il essaie de me remonter le moral.
30 janvier 1944.
Depuis huit jours, je suis de retour à Wunstorf. A l'infirmerie, bien entendu. Mais c'est toujours mille fois mieux que cet hôpital archiplein, avec son ignoble odeur d'éther. Ici, je suis au moins près de mes camarades d'escadrille.
Chaque matin, on me transporte sur le terrain où je passe la journée, bien emmitouflé, dans un transatlantique.
Si notre toubib frise la crise d'hystérie, c'est certainement ma faute. Malgré son veto catégorique, je me lève constamment et essaie de marcher. Tout d'abord, j'arrive à peine à bouger la jambe. Puis, assez vite, la paralysie disparaît. Quant à mes migraines continuelles, j'ai fini par m'y habituer.
Ce matin, nous recevons l'ordre de remonter vers la Hollande. Nous ferons escale à Arnhem.
Appuyé sur ma canne, je me traîne jusqu'à mon appareil. Quand, à Arnhem, je me présente au rapport, Specht me regarde comme si j'étais un fantôme. Il me croyait dans mon transatlantique, à Wunstorf.
A 13 h 5, nous décollons pour intercepter une formation de forteresses volantes. Nous n'allons pas loin. Comme nous émergeons d'un banc de nuages, une masse tourbillonnante de Spitfire dégringole sur nous et, en un clin d'œil, disloque nos escadrilles. Nous n'avons pas le temps de nous ressaisir. Exploitant au maximum l'effet de surprise, les Tommies nous chassent comme des chiens lancés derrière une famille de lapins. Je n'ai même pas l'occasion de placer une rafale. L'un après l'autre, nos pilotes descendent, dans leurs cercueils incandescents, vers la couche de nuages. Quant à moi, plus heureux que la plupart d'entre eux, je m'en tire avec un moteur en miettes. A un kilomètre du terrain de Hilversum, je me pose tant bien que mal sur le ventre.
Specht est le seul à avoir abattu un Spitfire.
Le bilan de la sortie est désastreux : la 4e escadrille a quatre morts, la 6e, trois, le groupe du Vieux, un. Ma 5e, elle aussi, a perdu un pilote. Presque tous les appareils rescapés sont endommagés.
Un avion de transport nous ramène à Wunstorf.
10 février 1944.
Toujours les « concentrations ennemies dans Dora-Dora ».
Specht, malade, m'a transmis le commandement de l'escadre.
A 8 000 mètres, nous apercevons l'adversaire. Et quel adversaire !
Etirés sur un large front, quelque mille bombardiers, encadrés de puissantes formations de chasse, se dirigent vers l'est. Leur objectif est probablement Berlin. C'est en tout cas l'armada aérienne la plus formidable que j'aie jamais vue. En comptant les chasseurs, je l'estime à au moins mille deux cents appareils.
Nous sommes quarante !
Et si nous n'étions que deux, nous attaquerions quand même.
J'essaie vainement d'enfoncer la masse de mes quarante Messerschmitt dans le front de l'énorme phalange. Chaque fois, les bombardiers changent de cap.
Derrière nous, dévale un groupe de Thunderbolt. Mais ils arriveront trop tard.
Je demande à mes pilotes de conserver leur sang-froid, puis, je leur donne l'ordre attendu : — En avant, dans le tas !
Mon coéquipier, l'adjudant Raddatz, atteint d'une gerbe de traceuses, est presque immédiatement contraint de quitter le combat. Je fonce seul, place mes rafales dans le nez d'un bombardier, cabre sec pour passer au-dessus de son empennage.
Et c'est encore une fois l'image habituelle : la forteresse qui s'affaisse par l'arrière, ses voisins qui s'écartent précipitamment, l'abattée brutale, et la chute de l'oiseau géant dont les ailes se détachent 2 000 mètres plus bas.
Mes pilotes ont fait, eux aussi, du bon travail ; l'engagement aura coûté aux Américains la bagatelle de douze quadrimoteurs.
Un peu plus tard, les Thunderbolt et Lightning entrent dans la bagarre. Leur intervention nous
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