La grande Chasse
pénétrons, vers 20 heures, dans la salle du mess, le moral est de nouveau excellent. Nous avons trouvé le temps de rompre le cou à quelques bonnes bouteilles.
Specht explique brièvement la raison de son ordre.
— Messieurs, la division m'a prévenu qu'une décision importante sera prise au cours de cette nuit. Afin de ne pas mettre en péril la lucidité des pilotes, j'ai préféré interdire les excès habituels du réveillon du Nouvel An. Nous allons donc enterrer 1943 dans le cadre plus austère de notre mess, pour nous coucher aussitôt après minuit.
Comme il débite ce speech de sa voix de commandement, personne n'ose répondre. Mais nous n'en pensons pas moins...
A 00h01, nous parvient la nouvelle attendue : Specht est nommé au grade de commandant !
Il n'est pas le moins surpris. Manifestement, il s'attendait à quelque mission très spéciale, très secrète, très importante.
Il nous rend aussitôt notre liberté, dans un tonnerre d'applaudissements. Cinq minutes plus tard, la salle du mess est vide.
6
EN PLEIN CRÉPUSCULE
4 janvier 1944.
Durant six jours, les Américains nous ont fichu la paix. Mais aujourd'hui, ils recommencent.
— Concentrations ennemies dans Dora-Dora.
A 10 h 2, nous décollons, pour notre première mission de l'année.
Au-dessus de Munster, entre les barrages de notre propre D.C.A., nous attaquons une formation de quadrimoteurs.
Comme je m'approche d'un box volant à l'écart du gros des forteresses, une dure secousse ébranle mon appareil qui, aussitôt, s'affaisse par l'arrière. Le moteur émet un sifflement strident — un froissement de tôles, une détonation sèche — puis, sans transition, un silence total.
Un obus de notre D.C.A. a arraché l'hélice et la partie antérieure du moteur. J'ai un mal fou à maintenir mon zinc en ligne de vol.
L'instant d'après un Thunderbolt me dégringole dans les reins et, d'une seule rafale, incendie mon aile droite.
Il n'attaque pas de nouveau parce que Wenneker, d'une giclée d'obus, l'envoie ad patres. Je ne suis pas sauvé pour autant ! L'aile déchiquetée est en feu, les flammes lèchent déjà le fuselage. Il faut sauter.
Une fois de plus, j'accomplis les gestes nécessaires : larguer le hublot, détacher les sangles...
A peine suis-je prêt que le vent m'arrache du siège. Pas tout à fait malheureusement. Je reste accroché par le parachute coincé dans une déchirure. Ma jambe gauche pend dehors, la droite est encore sur le siège...
Mon appareil passe presque sur le dos avant de piquer vers le sol. Je suis incapable de bouger, car le vent de la course me plaque irrésistiblement sur le fuselage, derrière le cockpit. D'une torsion violente, il m'arrache presque la jambe pendante. Je pousse un hurlement de douleur. Mes joues et les ailes de mon nez tremblent comme une voile trop tendue. J'arrive à peine à respirer. Les flammes commencent à envelopper le fuselage.
Voilà que l'appareil se met en vrille, se redresse légèrement, titube, puis, reprend sa chute folle. Les bras immobilisés par le souffle, je suis incapable de bouger d'un pouce.
Et pourtant, il faudra que je bouge ! Si je ne parviens pas à me dégager, c'est la fin.
Il faut que je réagisse, il le faut à tout prix...
D'un effort surhumain qui me fait jaillir le sang du nez, je réussis, de la jambe droite, à attraper le manche. D'un coup de pied, je le repousse sur le côté. Mon zinc décrit un demi-tonneau, oscille, hésite, se cabre. Comme il ralentit, mon corps se décroche.
Cette chute infernale m'a fait parcourir 3 000 mètres !
Les bras levés, je plane, l'espace d'un instant, à côté de l'épave. Un coup effroyable me frappe dans le creux des reins. Un second coup, à la tête, me fait perdre connaissance.
Je me réveille dans les nuages, suspendu à mon parachute qui a dû s'ouvrir tout seul, car la poignée se trouve encore dans sa boucle.
J'arrive à peine à respirer. Pour m'éclaircir la gorge, j'essaie de crier ; je peux tout juste émettre un râle étouffé.
Voici enfin la terre. Les nuages plafonnent à tout au plus deux cents mètres. Le vent agite dangereusement mon parachute. Je rase, presque horizontalement, le toit d'un pavillon pour m'abattre, dans le jardin, sur le sol gelé.
De nouveau, je perds connaissance.
Quand je reviens à moi, deux infirmiers sont en train de me charger dans une ambulance.
Le diagnostic des médecins de l'hôpital de Munster me vaut des égards particuliers. Et pour
Weitere Kostenlose Bücher