La grande Chasse
Par miracle, ni l'une, ni l'autre n'ont eu à intervenir.
Je repars aussitôt, à bord d'un zinc prêté par la 4e escadrille. Comme nous essayons, au-dessus de la lande de Lunebourg, d'intercepter une formation de Liberator, une quarantaine de Thunderbolt sort d'un nuage et dévale sur nous. Pris en ciseaux, nous allons succomber sous le nombre. C'est un sauve-qui-peut général. Les Américains, déchaînés, se lancent à la curée avec des cris de Peaux-Rouges.
Specht et moi arrivons de justesse à nous échapper, après une poursuite effrénée au ras des bruyères.
Je sais déjà que mes deux chefs de section ont été descendus. Puis, quelques minutes après mon atterrissage, j'apprends que Wennecker, grièvement blessé, se trouve à l'hôpital de Diepholz.
Le soir, Specht téléphone à la division pour demander le retrait provisoire du groupe. Un groupe squelettique, dont les pilotes sont à bout de forces.
En haut lieu, on repousse cette demande avec indignation. Le groupe se battra jusqu'au dernier appareil.
La radio annonce que Berlin « brûle aux quatre coins ».
Dans le mess silencieux, Johnny Fest et moi sommes vautrés dans de profonds fauteuils. Nous ne parlons guère, mais nous fumons sans arrêt.
Le regard de Johnny reste fixé sur les photographies des disparus. On a l'impression que les portraits vont s'animer, que les voix familières des camarades vont chasser le lourd silence, qu'ils vont rire, plaisanter, évoquer de vieux souvenirs...
Demain, on accrochera peut-être nos photos à ce même mur.
15 mars 1944.
Le groupe décolle avec six appareils, contre environ trois cents Thunderbolt et Lightning qui protègent plus de mille forteresses volantes.
A notre retour, nous ne sommes plus que quatre.
Johnny et moi sommes baignés de sueur. Nos appareils, troués comme des passoires, sont tout juste bons pour la ferraille.
C'est la fin !
A midi, Specht vient nous rejoindre au mess.
— Le groupe est retiré du combat pour six semaines. Je pense que nous avons bien mérité ce répit.
Quand il est ressorti, je débouche une bouteille de cognac. Deux heures plus tard, nous en entamons une autre.
Johnny me parle de sa fiancée. Il veut avoir au moins quatre enfants, une fois qu'il sera marié.
Emu, je lui confie à mon tour un grand secret. Lilo attend un bébé pour le mois prochain.
— Bravo, crie-t-il, la voix épaisse. Ce sera magnifique, surtout si tu es encore en vie pour le voir.
A la tombée de la nuit, nous partons vers la ville. L'alcool nous fait oublier les semaines passées.
— Nous allons faire la bombe, propose Johnny.
Je veux bien. Je veux bien tout ce qu'il voudra. Ce soir, je me fiche de tout, éperdument.
Heureusement, il fait déjà noir. Les réverbères ne portent que de ridicules lumignons bleus. Personne ne peut distinguer nos traits.
Johnny connaît « une charmante petite Veuve ». Nous allons chez elle. La veuve est vraiment charmante. Elle fait venir une amie, et nous dansons tant que nos jambes veulent nous porter.
28 avril 1944.
Nous avons reçu des appareils d'un modèle nouveau qui viennent de sortir de l'usine. Grâce à l'injection supplémentaire, dans les cylindres, d'un mélange de méthyle et d'eau, ils peuvent atteindre une vitesse supérieure de 40 % au maximum habituel.
Grâce à l'arrivée d'une vingtaine de pilotes — dont l'instruction laisse d'ailleurs à désirer — nous avons pu reconstituer la 5e escadrille. Pourvu qu'elle ne fonde pas de nouveau dans la fournaise !
Je viens de passer cinq jours au centre d'essais de Lechfeld où j'ai vu pour la première fois le Messerschmitt 262, notre nouveau chasseur à réaction. Il atteint, en vol horizontal, la vitesse extraordinaire de 900 km/h. D'après les prévisions officielles, nous aurons d'ici la fin de l'année un millier de ces phénomènes en service. Alors, que Dieu ait pitié des Ricains et des Tommies !
Il y a quelques mois, j'ai déjà assisté au décollage d'un Messerschmitt 163. Sa propulsion par fusée lui confère une vitesse de près de 1200 km/h qui lui permet de grimper en trois minutes jusqu'à 8 000 mètres. Quand on pense que, dès 1941, cet avion allemand sans hélice dépassait la limite des 1 000 km/h, on se demande pourquoi les responsables de la Luftwaffe ne nous ont pas encore dotés d'un instrument de guerre aussi redoutable !
Je sais bien que dans nos usines, on travaille d'arrache-pied pour combler ce retard. Mais je sais aussi
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