La grande déesse
effacé de la mentalité populaire : il y a en effet, à travers toute l’Espagne, à l’occasion de certaines fêtes, notamment en février, des cérémonies accompagnées de processions qui semblent appartenir au domaine propre des femmes. Il en est ainsi à Escatron, non loin de Saragosse, à Zamarramata et à Sotosalbos, près de Ségovie, à Miranda del Castamar, près de Salamanque. L’antique Espagne se réveille alors au moment de la fête de sainte Agathe : et cette Agathe n’est autre qu’une épithète fort archaïque (signifiant « bonne ») de la Bona Dea d’autrefois, quelque nom qu’on lui donne. L’Espagne a conservé, même dans l’inconscient collectif, la mémoire d’un culte rendu à la Grande Mère universelle.
Les habitants du Portugal ne sont pas surgis exactement du même moule que les Espagnols. La marque phénicienne, celle des Romains et celle des musulmans y ont été moins profondes. Par contre, les éléments autochtones, vraisemblablement celtiques comme en Galice, se sont maintenus au cours des siècles. L’Antiquité classique y a laissé des vestiges, en particulier à Évora, dans le sud du pays, où subsistent les ruines d’un temple de Diane sur lequel s’est dressée ensuite une mosquée à l’époque de l’occupation dite arabe. Diane recouvre vraisemblablement une divinité indigène, une maîtresse des animaux sauvages, une sorte de reine de la nuit analogue à l’Artémis primitive, celle qui réclamait en Tauride le sang des jeunes voyageurs qui se risquaient jusqu’à son sanctuaire.
Ce n’est évidemment pas ce qu’exige la Vierge Marie aux nombreux pèlerins qui se rassemblent à Fatima, au centre du Portugal, dans une région pauvre et déshéritée. Elle se contente – ou plutôt le clergé qui veille sur son sanctuaire s’en contente – d’une offrande généreusement versée dans une enceinte sacrée devenue, avec Lourdes, l’un des plus importants centres de pèlerinage de toute la chrétienté. Ici, tout est récent : c’est en 1917 qu’ont eu lieu les apparitions de la Vierge à trois enfants, auprès d’un chêne. À partir de là, toute une mythologie s’est constituée, parfois douteuse par ses prolongements politiques nettement fascisants et ses récupérations financières qui frisent le scandale. Le culte de Notre-Dame-de-Fatima s’est développé au fil des années, nourri par d’étranges phénomènes qui sont demeurés inexplicables, mais les apparitions de la Vierge aux trois bergers n’ont jamais reçu une reconnaissance officielle de la part des autorités pontificales. Plus que jamais, Fatima est un symbole, le symbole d’une ferveur populaire profondément ancrée dans l’inconscient collectif : même si elle ne l’avoue pas ouvertement, l’humanité est engagée dans une perpétuelle quête de la Mère qui nourrit ses enfants, les console dans leurs malheurs et les guide sur les rivages qui mènent à l’autre monde.
L’Extrême-Occident
Il est nécessaire de mettre à part ce qui concerne le nord-ouest de l’Europe, c’est-à-dire l’ensemble des îles Britanniques, car le relatif éloignement de ces îles par rapport au continent a toujours contribué à la conservation d’un état d’esprit qui remonte aux époques préchrétiennes, au-delà même de la période celtique, état d’esprit qui se manifeste autant dans les coutumes que dans une tradition écrite ou orale particulièrement riche en éléments de réflexion. Ici, la vie spirituelle, tout imprégnée de christianisme qu’elle soit, apparaît très différente de celle du continent, et cela aussi bien chez les divers protestants que chez les catholiques, même si ces derniers affichent – du moins actuellement – une soumission sans faille à l’autorité romaine.
Ce qui surprend en Grande-Bretagne, c’est l’absence complète de lieux de pèlerinage à la Vierge Marie. Or l’anglicanisme, religion officielle du Royaume-Uni et dont la reine est le chef, n’a jamais rejeté le culte rendu à la mère de Jésus. Il est vrai que l’influence des calvinistes écossais, qu’on appelle les presbytériens, ainsi que celle des méthodistes gallois ont contribué à occulter la dévotion mariale, surtout au cours des troubles religieux des XVI e et XVII e siècles, et la minorité catholique du pays, pourtant assez puissante, n’a pas réussi à inverser cette tendance : le culte de la Vierge s’est réfugié dans des
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