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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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parfaitement historicisé (comme on voudra, le résultat étant identique), elle ne pouvait être saisie de façon sensible que sous un aspect connu et reconnaissable : de là vient qu’elle acquit très tôt, compte tenu d’une savante censure, les caractéristiques essentielles dévolues autrefois à la Grande Déesse universelle, mère de tous les dieux et de tous les hommes. C’est dire la complexité du personnage de Miriâm, devenue ensuite la Très-Sainte Vierge Marie. Un texte de la fin du XII e  siècle, le récit arthurien de Perlesvaux , d’inspiration clunisienne mais empreint de réminiscences celtiques, témoigne clairement de la conscience que les élites intellectuelles – donc cléricales – du Moyen Âge avaient du rôle exceptionnel joué par la Vierge. Dans un épisode qui se place au début du récit, le roi Arthur se trouve à la porte d’une mystérieuse chapelle. Il lui est impossible d’y pénétrer, à cause de son impureté (en fait parce qu’il n’a subi aucune initiation spirituelle), mais il peut voir, par une porte entrouverte, ce qui se passe à l’intérieur : « L’ermite disait le confiteor , et à sa droite le roi aperçut un enfant d’une extraordinaire beauté ; il était vêtu d’une aube et portait une couronne d’or chargée de pierres précieuses qui répandaient une vive clarté. À sa gauche se tenait une dame si belle qu’aucune beauté au monde n’aurait pu lui être comparée… Elle assit l’enfant sur ses genoux et se mit à l’embrasser avec une infinie tendresse. “Seigneur, disait-elle, vous êtes tout à la fois mon père, mon fils, mon époux, mon sauveur et le Sauveur du monde.” 12  » On ne peut mieux énumérer les fonctions attribuées à la Vierge Marie et, à y bien regarder, ce sont celles qui étaient dévolues à la Grande Déesse des Commencements.
    Il est en effet indispensable d’utiliser des images ou des mots appartenant au concret pour exprimer un thème conceptuel par essence incommunicable, et il n’était pas possible de traduire le problème des origines du monde et des êtres vivants autrement qu’en termes de maternité, donc de féminité. Les notions abstraites sont transmises par des objets concrets, qu’on pourrait appeler « objets de méditation », et qui permettent de comprendre ou de sentir lorsqu’on projette sur eux des images, des pulsions, des sentiments ou même des certitudes intérieures. La femme, évidemment d’une beauté supérieure, inégalable, résume donc admirablement le concept du principe maternel qui préside à l’apparition, à l’ existence , de tous les êtres et de toutes les choses. Ces regards sur la féminité se sont alors, dans le contexte chrétien, cristallisés sur le personnage historique ou historicisé de Miriâm, et il ne pouvait en être différemment. Mais il est évident que dans ces conditions, le concept même de la Vierge mère préexistait depuis des temps immémoriaux à la naissance réelle de la Galiléenne Miriâm : c’est d’ailleurs ce qui ressort du concept d’Immaculée Conception, même si ce concept n’est pas toujours bien compris par les chrétiens eux-mêmes, ou par les détracteurs du christianisme.
    L’Évangile de Jean, qui, ne l’oublions pas, véhicule de nombreuses spéculations gnostiques, commence ainsi : « Dans le Principe était le Verbe 13 . » Cela veut dire que le Verbe, le logos grec qui correspond au dabar hébreu, « parole efficace », n’est pas Dieu lui-même, mais qu’il se trouve en Dieu : il s’agit donc d’une des activités fonctionnelles attribuées à Dieu, le Principe pouvant être identifié à Dieu lui-même dans sa totalité, Dieu étant l’alpha et l’oméga, le début et la fin, ce qui se traduit admirablement par le aum oriental et l’ amen chrétien, formules lourdes de conséquences et qu’il importe d’ailleurs de ne pas prononcer inconsidérément. Mais il y a dans le Principe d’autres principes fondamentaux. Si Dieu est une totalité, un absolu (équivalent au néant s’il ne suscite pas l’Autre en face de lui, selon la fameuse dialectique de Hegel), il doit extraire de lui-même une part féminine pour accomplir l’acte de création. Et, parallèlement à la phrase « Dans le Principe était le Verbe », on pourrait aussi bien dire « Dans le Principe était la féminité ». Ainsi émerge l’idée d’une composante féminine, matricielle , de la divinité primordiale

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