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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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être rationnelles, vu l’insuffisance technologique et l’absence probable de système de mesures stables, mais cette faiblesse « scientifique » était compensée par une plus grande conscience intuitive du milieu. Vivant en contact intime et permanent avec la nature, les populations de la préhistoire savaient , sans pouvoir l’exprimer logiquement, qu’existaient des endroits où l’on ressentait davantage une certaine transcendance, positive ou négative. Ainsi se manifestait le sentiment du « sacré », ce rapport subtil entre l’être humain et tout ce qui le dépasse.
    On s’étonne toujours, avec une certaine naïveté, lorsqu’on lit les plus anciens textes de l’humanité, qui sont tous d’essence mythologique ou religieuse, d’observer une grande familiarité entre les dieux et les humains. Dans la Bible hébraïque, Yahveh se manifeste constamment au « glébeux » (c’est-à-dire Adam, selon la traduction d’André Chouraqui) et à ses descendants. Et quand ce n’est pas Yahveh, ce sont ses envoyés, ses « anges », qui assurent la transmission entre le visible et l’invisible. Dans l’ Iliade ou l’ Odyssée , les divinités se « matérialisent » fréquemment et interviennent dans les destinées humaines. Dans des traditions celtiques primitives, telles qu’elles ont été collectées dans les récits irlandais du Moyen Âge, les « dieux » (qui ne sont en réalité que des aspects fonctionnels d’une divinité unique) imprègnent la vie quotidienne, où de toute façon, il y a interpénétration entre le monde divin et le monde humain. Et tout cela, dans le cadre archaïque, est d’une évidence absolue. D’ailleurs, la même évidence se retrouve dans la tradition chrétienne, comme en témoignent la Légende dorée de Jacques de Voragine et les innombrables récits hagiographiques de toutes les époques, y compris les comptes rendus plus ou moins officiels des « apparitions », celles de la Vierge Marie en particulier.
    Il serait cependant stupide de prendre tout à la lettre : les narrations abusent du symbole, et c’est grâce à ce moyen que le message peut se transmettre. Les « apparitions » des divinités préchrétiennes ou de la Vierge Marie, quel que soit leur degré de réalité , sont la preuve qu’il existe des moments privilégiés, dans des lieux également privilégiés, où s’établissent de subtils et mystérieux contacts entre le visible et l’invisible, entre le monde terrestre et ce qu’on appelle l’autre monde. Or, une étude attentive de tous ces textes débouche sur une extraordinaire constatation : chaque fois qu’il y a apparition – ou matérialisation – d’une entité divine ou spirituelle, c’est toujours à l’intérieur ou à proximité immédiate d’un lieu traditionnellement sacré selon la mémoire collective. C’est dans le lieu saint de Sichem, au chêne de Moré, que Yahveh apparaît à Abraham. C’est la tête appuyée contre une pierre sacrée (un « béthel ») que Jacob a son fameux songe de l’échelle. C’est sur le mont Sinaï, sommet consacré à l’antique dieu lunaire sémite Sin, que Yahveh se manifeste à Moïse. Ce ne sont là que trois exemples : il y en a en nombre illimité dans toutes les traditions religieuses ou mythologiques.
    Cela veut dire que les manifestations de ce qu’on appelle, faute de mieux, le « surnaturel » ne se produisent pas n’importe où. Dans une admirable scène de La Machine infernale , Jean Cocteau fait apparaître le fantôme de Laërte à l’endroit fangeux, marécageux et méphitique où se déversent les égouts de Thèbes : l’esprit du vieux roi, assassiné sans le savoir par Œdipe, prend une vague forme humaine dans les vapeurs nauséabondes qui s’exhalent du cloaque. On sait que tous les marécages sont d’ailleurs propices aux « apparitions » de toutes sortes, ce qui fait ricaner les rationalistes, car plus l’environnement est flou, indécis, plus la lumière se brise à travers les gouttelettes d’eau en suspension, et plus les illusions d’optique sont nombreuses. C’est vite dit. Les marécages sont des lieux étranges où la vie et la mort se côtoient sans cesse et où s’opèrent de délicats échanges entre la dissolution et la régénération. A À priori , rien ne s’opposerait logiquement à ce que des entités spirituelles – bénéfiques ou maléfiques, là n’est pas la question – ne profitent de cet

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