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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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de l’œuvre, celle-ci acquérant inévitablement une certaine « onde de forme » en rapport à la fois avec la « charge » et avec le lieu où elle doit se dresser. C’est d’ailleurs pourquoi de très nombreuses statues de la Vierge, dont les originaux ont été détruits soit pendant les guerres de Religion, soit pendant la Révolution, et qui ont été refaites par la suite (même avec incrustation de la statue primitive), n’ont strictement aucune valeur d’efficacité : elles ne sont que le rappel d’un état antérieur dans la mémoire collective. Quant aux innombrables statues de plâtre qui parsèment les églises et chapelles à travers la France actuelle, elles n’ont pas plus de valeur que les copies d’œuvres antiques qui abondent dans les musées archéologiques. Leur seul intérêt est d’ordre documentaire. Mais il est vrai que les sanctuaires, en cette fin de XX e  siècle, ont tendance à devenir des musées : on se contente de conserver (avec d’ailleurs le maximum de garanties) ce qui n’est plus vivant. Ainsi s’exprime la nostalgie des temps à jamais révolus… Si la célèbre grotte de Lascaux est fermée au public – et si elle est reconstituée, en copie, non loin de là –, c’est dans une excellente intention : la sauvegarde d’un patrimoine culturel incomparable. Mais où est donc le patrimoine spirituel dans tout cela ?
    Une troisième certitude s’impose : un sanctuaire, qu’il soit chrétien ou qu’il soit antérieur au christianisme, perd tout ou partie de sa valeur efficace lorsqu’on le vide des éléments qui le constituaient. Le louable souci de sauvegarder des chefs-d’œuvre artistiques en les mettant à l’abri des vols possibles ou des actes de vandalisme, affaiblit inévitablement la portée spirituelle d’un sanctuaire, même si l’on se contente de mettre sous clef, dans une armoire de sacristie, une statue qui était faite pour se dresser à un endroit bien précis du sanctuaire. Quant aux remaniements et autres innovations dont le but avoué est de faciliter aux fidèles la compréhension du rituel, ils se traduisent par des aberrations et des contresens qui ne semblent même pas effleurer l’esprit d’un clergé beaucoup trop centré sur la communication au détriment de la spiritualité. Le déplacement du maître autel, autrefois placé à l’endroit le plus énergétique de l’église, vers la croisée du transept représente une méconnaissance totale des subtilités du sacré. Quant aux statues qui gênent la visibilité et qui sont reléguées n’importe où, on ne les compte plus. C’est ainsi que les églises et les cathédrales, de sanctuaires qu’elles étaient, ne sont même plus des musées, revêtus malgré tout d’une certaine aura sacrée, et deviennent souvent de simples salles de spectacle. Signe des temps, quand le sacré disparaît sous les fallacieuses colorations du profane…
    Il faut certes s’adapter, mais on regrettera qu’une louable volonté de se rendre accessible au plus grand nombre tourne systématiquement au « misérabilisme ». La fin du XIX e  siècle et le début du XX e , avec sa dose d’athéisme et d’anticléricalisme, et par voie de conséquence la résurgence d’un fanatisme religieux coupé de toute racine traditionnelle, sont tombés dans les pièges d’un scientisme mal digéré. On s’est mis à construire des églises n’importe où et n’importe comment, sans référence à une quelconque géographie sacrée. On a multiplié, grâce aux progrès de la technique, les statues de plâtre dites saint-sulpiciennes dont la valeur intrinsèque est aussi nulle que les qualités artistiques extérieures. Et, sur un plan proprement archéologique, on a vidé les sites sacrés de tout ce qu’ils contenaient encore de vivant au profit de ces nouveaux temples laïques que sont les musées. Quant aux brocanteurs et aux antiquaires de tous bords, ils ont fait fortune en revendant très cher à des amateurs éclairés des objets sacrés arrachés pour des sommes ridicules à la naïveté ou à l’incompétence de certains membres du clergé. La rupture semble alors totale avec le courant spiritualiste qui, surgi de la nuit des temps, s’était manifesté avec tant de force et d’efficacité pendant d’innombrables siècles.
     
    Et pourtant, aussi bien dans les couches populaires que parmi les élites intellectuelles, jamais le culte de la Vierge Marie n’a été plus

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