La grande déesse
compréhensible par autrui.
Il ne s’agit pas ici de douter de la réalité des « apparitions », mais de montrer par quels mécanismes subtils ces « apparitions » prennent corps dans l’imaginaire, et au-delà, dans la représentation artistique. Ainsi est posé le problème de la figuration des dieux, d’une façon générale, et de la visualisation de la Grande Déesse universelle à travers toutes ses métamorphoses historiques, sociologiques, culturelles et même théologiques. Car des « Vénus » paléolithiques à la pâle « Sainte Vierge » saint-sulpicienne, c’est le même phénomène qu’on peut observer à travers les innombrables mutations provoquées par l’esprit humain.
Mais là encore, rien n’est gratuit dans ces représentations : elles obéissent toutes à une logique implacable encore que très souvent inconsciente. Le schéma originel transparaît toujours à travers les vernis idéologiques successifs, et c’est évidemment un schéma obligatoire dans lequel se trouvent concentrées les deux caractéristiques essentielles de la notion de Grande Déesse, la féminité et la maternité (qui ne coïncident pas forcément). Et de même que le lieu sacré a été choisi en fonction de différents facteurs, de même la représentation a été la plupart du temps choisie en fonction du lieu même où elle doit se trouver de façon qu’il y ait harmonie entre l’image et son environnement immédiat. Il est bon de rappeler à ce sujet un canevas légendaire rencontré d’innombrables fois et qui concerne la découverte fortuite d’une statue enfouie dans le sol ou cachée dans un buisson. Généralement, la découverte est le fait d’un paysan qui laboure, ou qui s’étonne de voir ses bœufs s’arrêter toujours au même endroit. La statue est exhumée. Elle est souvent informe ou très altérée, mais personne ne doute qu’il s’agisse d’une statue de la Vierge (ou de sainte Anne, ce qui, nous le verrons, revient au même). Pour protéger cette statue et bien entendu lui rendre un culte, on l’emporte à l’église paroissiale où elle devient objet de vénération. Mais, toutes les nuits, elle disparaît de l’église, et on la retrouve le lendemain à l’endroit de la découverte, preuve évidente que c’est là qu’elle veut être vénérée. D’où la construction d’une chapelle isolée qui deviendra lieu de pèlerinage. Ce thème légendaire est riche de significations.
Les fables, aussi extravagantes qu’elles puissent paraître, rendent toujours compte d’une réalité tant intellectuelle que proprement historique. À la lumière des récits concernant les multiples « retours » d’une statue au lieu de sa découverte, on doit tirer des conclusions qui sont autant de certitudes. Passons sur l’aspect « surnaturel » de la chose, il n’est que la résultante d’une symbolisation qui doit frapper les esprits. La première certitude concerne le lieu : si, dans des temps très anciens, une statue avait été érigée en un endroit déterminé, c’est que sa présence s’y imposait comme un élément de concentration, de cristallisation, des différents courants magnétiques, telluriques ou cosmiques. En ce sens, la statue était indispensable à cet endroit précis : une fois déplacée, même pour d’évidentes raisons de conservation, même dans le but très honorable de lui rendre un culte, cette statue perdait toute son efficacité. Et si l’on va jusqu’au bout de ce raisonnement, on est amené à penser que toutes les statues, aussi bien les statues dites païennes que chrétiennes, qui ont été sauvées de la destruction et qu’on a abritées dans des musées ont perdu toute valeur religieuse ou spirituelle : il n’en subsiste plus que l’aspect artistique, incontestable, mais d’une importance bien minime par rapport à la totalité originelle. Toute statue exilée dans un musée devient un objet sans vie.
Une seconde certitude concerne ce qu’on peut appeler, en utilisant un terme emprunté à la magie, la charge de la statue elle-même. Une statue a été façonnée dans un but déterminé et en fonction du lieu où elle doit se dresser : elle est donc chargée d’intentions particulières : une représentation dite Notre-Dame-des-Marais ne peut avoir ni la même fonction ni les mêmes caractéristiques qu’une statue dénommée Notre-Dame-des-Neiges. Et les intentions profondes marquent obligatoirement la facture
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